Les enjeux de la formation ont évolué à ce point que le présentiel seul ne pourrait plus y répondre ?
Pascal Aubert : Le facteur temps qui s’est contracté et la taille de l’entreprise qui a grandi très vite (avec dimension internationale) ont rendu la tâche difficile aux formations présentielles, lorsqu’il s’agit de véhiculer largement toute sorte de concepts ou connaissances de manière transverse dans l’entreprise… sans compter la tendance (véhiculée par la génération Y, ou génération Google) à obtenir de l’info par soi-même de façon la plus instantanée possible !
L’introduction des modalités e-Learning (au sens large) a permis dans un premier temps de servir ces objectifs Corporate qu’il était devenu complexe de traiter de façon traditionnelle. Comment élargir l’accès à la formation avec le même budget et dans le même délai, sans sacrifier à la qualité des contenus dispensés, pour tous les domaines : voilà la nouvelle donne…
Finalement, la forte contrainte réglementaire qui pèse sur les banques en obligeant la formation de tous, a été une véritable opportunité pour généraliser cette approche de "formation pour tous (mais de qualité)" à d’autres sujets. Par exemple, un dispositif sur les RPS (NDLR : risques psychosociaux) a été mis en place : composé d’un serious game (pour tous) + conférences (sur invitations à ceux qui ont suivi) + présentiels (sur inscriptions), pour une approche individualisée (mais de masse) sur le stress et soi (chacun a sa propre expérience dans ce serious game et se pose SES questions sur le stress). Ou encore : un web-documentaire (forme qui ressemble plus à un documentaire qu’à un e-Learning), sur le monde bancaire et financier, pour contextualiser notre action, redonner du sens. C’est valorisant, motivant, documenté… Et surtout pas obligatoire !
Quelles sont les évolutions récentes du e-learning qui vous semblent les plus marquantes ?
Pascal Aubert : Certes les formes de médiatisations ont évolué ces dernières années et c’est tant mieux. Le vrai changement est finalement ce que tout cela implique, à commencer par faire valoir une vision différente auprès de tous : RH, managers, collaborateurs… et Direction !
Dans un monde où l’on effectue un recueil des besoins très chronophage, pour valider/arbitrer, refuser, qualifier des demandes collectives et individuelles, le développement des formations numériques consistent tout d’abord à identifier des besoins Corporate / transverses (pour tous) ou métiers (cibles plus précises), les réaliser, les déployer, et faire en sorte qu’à l’arrivée, le collaborateur accède à la possibilité de se former immédiatement – ou pas - à ces sujets transverses ou métiers. Il peut organiser son propre plan de formation avec cette matière. Ainsi, il devient acteur de sa formation.
Le réflexe devient : "Pour me former, je me connecte.". Les managers deviennent partie prenante de cette matière nouvelle, mise à disposition d’eux-mêmes et de leurs équipes, dont ils peuvent voir en temps réel la progression des suivis. C’est ça le vrai changement.
D'ailleurs, plus généralement, l’ère est au self-service : le collaborateur prend l’initiative d’exprimer ses besoins en développement de compétences, il gère lui-même ses inscriptions aux sessions, … il se sert maintenant de façon autonome dans une offre e-learning de plus en plus riche !
Comment le voyez-vous évoluer dans les prochaines années ?
Pascal Aubert : Avec cette appropriation progressive par tous, la route est ouverte pour la deuxième étape : décentraliser la conception des contenus métiers (rapid-learning), en révisant notre rôle pour que l’expertise pédagogique soit partagée plus largement dans l’entreprise. Les contenus de type rich-media ont également un bel avenir devant eux pour traiter de sujets d’expertise en capitalisant sur des conférences internes. Quand on voit le succès des contenus vidéos sur internet pour traiter de n’importe quel sujet (et la bataille autour de Dailymotion…)
Et il sera de plus en plus indispensable de rendre la formation "transportable" via tablettes tactiles et Smartphone !
Le e-learning est-il aujourd'hui bien accepté par les collaborateurs et les managers ?
Pascal Aubert : Tous ces changements ne sont pas anodins, et changer des habitudes comportementales prend du temps. Malgré tout, on y est : le monde a changé, l'Internet a révolutionné nos vies quotidiennes, et le monde de l’entreprise suit. On observe donc au fil du temps une augmentation d’assiduité aux contenus de formations numériques non obligatoires. Cette progression est très hétérogène, selon les services, les entités, les métiers, mais aussi au sein même des services. C’est de fait l’objet de notre étude et recherche en cours, menée par l'une de nos collaboratrices dans le cadre de son Mastère II à l'Université de Rennes 2 : analyse des freins, à un niveau individuel, ciblée sur les foyers de résistance à la formation numérique dans notre environnement.
A l'expérience quels sont les principaux facteurs de succès du e-learning dans une entreprise comme Natixis ?
Pascal Aubert : Cela passe tout d’abord par un choix très sélectif des sujets à traiter : pertinence des sujets déployés en regard de la cible, sujets peu nombreux au démarrage, créés sur mesure, avec beaucoup de marketing pour valoriser les connaissances à acquérir par ces formations.
Il faut cadencer les sorties. Comme au cinéma, on ne sort pas tous les films la même semaine, et on communique avant, pendant… et même après. A ce sujet, nos collaborateurs vont bientôt retrouver trois personnages de notre trilogie Economie Banque et Marchés… en taille réelle, sortis de leurs écrans. Mais gérer tout cela est une usine : il faut penser à coordonner les différentes entités, pays, et renouveler sans cesse les campagnes d’inscriptions pour penser aux nouveaux arrivants, les mobilités… Faute de quoi ces formations prendraient un caractère "jetable" plutôt que pérenne. Nous avons une campagne d’inscription tous les deux jours en moyenne, toute l’année.
L’effet de "concurrence" (saine !) entre les implantations internationales, les filiales, sur leur consommation et assiduité en e-Learning, est stimulé par les communications transverses. Et le recours permanent à l’imagination pour des nouveautés, que ce soit dans les contenus, leur forme, ou les procédés de communication a une grande importance.
Propos recueillis par Michel Diaz
|