Temps #1
En 2010, alors que je prenais mon premier poste à l’académie des ventes EMEA de Medtronic, l’ère des plateformes LMS venait tout juste de démarrer, sous l’égide d’une innovation majeure : le mode SaaS, adapté aussi bien aux petites structures sans moyens de financer un serveur important qu’aux multinationales ayant besoin d’une grande capacité « sur demande » et de consolider les résultats régionaux ou mondiaux de la formation.
Ces LMS ont marqué un premier dépassement du face à face séculaire de la formation traditionnelle : l’employé pouvait enfin suivre son module de formation quand et où il le souhaitait (« anytime, anywhere ») ; la formation en entreprise pouvait également « passer à l’échelle » (scalabilité) sans plus dépendre des limites physiques, en déployant des contenus auprès de milliers de collaborateurs partout dans le monde. Belle irruption de la digitalisation dans le monde de la formation !
Notre académie des ventes régionale s’est empressée de saisir l’opportunité LMS en digitalisant très rapidement une partie significative de son programme d’induction des nouveaux vendeurs ; programme dont la partie théorique sera raccourcie d’une, puis de deux semaines. Autres bénéfices : le nouveau vendeur pouvait consacrer ses premiers jours sur le terrain, au contact de son nouvel environnement, plutôt que d’être confiné dans une salle de classe ; les formateurs gagnaient également en disponibilité et le budget formation était notamment allégé des frais de déplacement et de séjour.
Cependant, le LMS restait l’héritier d’une formation top-down et similaire pour tous (one -size-fits-all), déjà montrée du doigt à la Renaissance par Montaigne ! C’est-à-dire répondant surtout aux besoins de l’administrateur ayant à créer des groupes d’apprenants, tracer leur activité, générer des rapports pour le suivi du plan de formation… Une arme supplémentaire, en sorte, dans l’arsenal habituel du formateur : l’apprenant restait relativement à l’écart de cette révolution, malgré l’émergence d’outils auteurs parfois intégrés dans des LMS ainsi transformés en LCMS (Learning Content Management System).
Temps #2
Cette révolution s’est ensuite amplifiée avec le déploiement massif d’infrastructures de communication plus avancées, 3G puis 4G, et la transformation profonde qu’elles ont induite dans les usages privés. Influence aussi sur les plateformes, qui ont en retour créé de nouvelles façons de se former. Les politiques d’apprentissage sur les terminaux mobiles privés (Bring Your Own Device), l’arrivée de contenus nativement créés pour mobiles et le succès de YouTube ont suscité l’apparition de plateformes de formation « mobile friendly », impliquant un raccourcissement drastique de la durée des modules (micro learning) et l’accès via l’internet à une infinité d’offres de formation, bien au-delà des murs de l’entreprise. Le terreau était alors fertile à l’arrivée opportune des LXP, « one-stop-shop » de la formation en ligne.
Si l’on peut constater que les modes d’apprentissage n’en avaient pas été pour autant bouleversés (en témoignent les cours synchrones virtuels en Webex ou AdobeConnect du milieu des années 2010 dont la pédagogie est inspirée des cours en salle), on doit admettre que l’écosystème de la formation, jusqu’alors accommodant avec les LMS, en a toutefois été plus fortement secoué. Il ne s’agissait plus simplement d’ajouter en ligne des Powerpoint auparavant présentés en salle de cours, mais d’intégrer plus avant le digital dans la stratégie de formation. Du e-learning au digital learning, un concept plus large et protéiforme, dont la conception, la production et le déploiement nécessitera très vite des compétences d’ordre stratégique ainsi que des équipes formation dotées de nouvelles compétences technico-pédagogiques ou transversales. Toucher au rôle du formateur, c’était déjà toucher au cœur du réacteur ; mais, cette révolution attendait pourtant une troisième phase.
Temps #3
Avec la 5G, le Covid et la montée en maturité de l’IA générative, l’accélération est devenue exponentielle. Pour être à jour des évolutions et des offres technologiques, les Directions Formation sont contraintes de benchmarker et de shortlister sans cesse, de pratiquer le pilotage dans des temps toujours plus courts. Elles doivent repenser l’écosystème digital de formation pour que les diverses plateformes qui le composent puissent « se parler ». Il ne suffit pas d’avoir un vernis IT ou de se frotter à l’approche Agile, il faut aussi comprendre les possibilités et les limites des APIs ou de l’intelligence artificielle et du machine learning. La qualité des programmes dont nous avons la charge en sera enrichie, avec la diffusion, par exemple, de formations en contexte, pour sortir de la malédiction du 70:20:10 ! Un immense champ des possibles s’ouvre aux services formation, ces évolutions n’étant plus seulement conçues pour les administrateurs de plateforme : les professionnels de formation sont maintenant sommés de ne jamais perdre de vue le client final, ce qui constitue un véritablement changement de paradigme.
Vivement demain ! (Cap sur le nouveau monde)
Les LLM (Large Language Models) à la base de l’IA générative comprennent toujours mieux le contexte où on les fait intervenir ; on peut donc les utiliser pour construire des interactions cohérentes (à l’infini ou presque) pour aider l’apprenant à se former à l’intérieur d’une expérience d’apprentissage individualisée, bien au-delà des solutions d’adaptive learning d’il y a 2 ans. Les LLMs font irruption x disruption dans les domaines de la génération de texte, de l’analyse prédictive, de la traduction (quelle avancée pour les entreprises globales !) ainsi que des chatbots, de la création graphique (Dall-E, HeyGen…), ces avancées servant la multiplication de nouvelles plateformes qui toquent quotidiennement à la porte de nos boîtes de réception. Les plateformes historiques, LMS et LXP ne sont pas en reste, qui, dans un énième réflexe de survie, proposent des APIs et intègrent des fonctionnalités IA.
En 2012, chez Medtronic, je représentais l’Académie des Ventes au Comité de Pilotage chargé du choix de notre LMS monde. En 2024, je me retrouve au carrefour d’une multitude de projets de BOT servis par l’IA, à l’intersection de l’Académie des Ventes, du Sales Enablement et de l’IT… C’est un signe, pas le moindre, du bouleversement apporté par le digital dans la formation !
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