Le point de vue de Jean-Roch Houllier
En 2019, nous avions tenté une première synthèse des compétences des acteurs de la formation à l’ère digitale. Les six domaines et leurs près de vingt-cinq compétences démontraient déjà que les métiers de la formation se développent, se structurent et se professionnalisent autour d’un panel de compétences variées, sur un solide fond qui échappe au « mirage de la facilité » amplifié par l’usage de « l’outil, de la technologie » : c’est à tort qu’on a parfois le sentiment d’une banalisation du travail d’ingénierie pédagogique, et plus généralement du métier de la formation.
Dans ce panel des compétences, on peut distinguer celles relevant d’une forme d’invariance et de transversalité (la maîtrise des fondamentaux de la pédagogie, la conduite de projet…) de celles largement portées par les évolutions du numérique (les compétences adossées aux technologies à l’évolution rapide).
Pour rester en phase avec « l’écosystème des compétences L&D », les Directions formation doivent développer une curiosité de tous les instants, par une connexion continue aux divers observatoires des métiers ; il leur faut formaliser et nourrir une veille pédagogique, notamment en participant à des réseaux professionnels variés, dans et hors leur entreprise : le « rapport d’étonnement » bien connu dans le monde du conseil peut aider un département formation à déterminer s’il est en avance ou en retard, ou bien aligné sur les tendances les plus significatives du marché L&D. Il vaut mieux, au reste, conserver une longueur d’avance sur les autres parties prenantes de l’entreprise, pour être reconnu comme centre d’expertise.
Avec la diversification des emplois L&D, un service formation veillera également à passer d’une vision purement individuelle à une vision collective des compétences, par exemple, grâce à une cartographie qui facilitera l’identification des compétences manquantes et des manques d’expertise à combler pour assoir la réussite des projets. La mise en place d’un plan d’innovations pédagogiques et digitales peut se révéler particulièrement utile, parce qu’il attache une formation spécifique à chaque innovation qui mérite d’être homologuée. Première vertu d’un tel plan : permettre de professionnaliser et d’autonomiser les acteurs de la formation de l’entreprise, par la mobilisation des ressources internes ; ensuite, l’approche pédagogique ne sera pas dénaturée par une trop grande importance attachée à la technologie (au détriment de l’intention pédagogique initiale). Au risque de me répéter, ce plan s’appuiera sur des compétences déjà détenues en interne, les sachants s’échangeant leurs savoirs), ou sur des partenaires extérieurs porteurs de nouvelles solutions technologiques et des compétences afférentes.
Le point de vue de Xavier Voilquin
Autrefois, le département formation pouvait se focaliser sur le développement des autres employés. Avec les changements incessants et l’accélération introduite par le digital, les compétences de ses clients deviennent rapidement obsolètes, et il en va de même des siennes !
Dans cette recherche d’une actualisation permanente des compétences, la curiosité individuelle doit s’ériger en soft skill essentielle. Elle est d’autant plus cruciale que le télétravail — dont la récente généralisation ne permet pas d’estimer tous les impacts à moyen terme — ne facilite guère la prise de conscience des tendances à l’œuvre : cette inclinaison naturelle facilitera leur identification et leur décryptage, malgré la distance !
Cette actualisation requiert de multiples connexions hors l’entreprise pour s’assurer d’un benchmarking continue avec ce qui se fait ailleurs y compris dans des industries et des services différents. Travaillant dans le domaine de la santé et des équipements chirurgicaux, je m’inspire des progrès réalisés par la formation dans des domaines plus agiles ou plus en phase avec l’accélération du digital au service de la formation. Ce principe peut s’exprimer dans les « learning expeditions » dans lesquelles les équipes formation s’imprègnent de ce qui est fait dans une entreprise d’un autre secteur d’activité, et qui permettent d’échanger et de moissonner des tendances émergentes et de bonnes pratiques.
Cette actualisation requiert aussi une proximité non négociable avec le business (lui aussi travaillé par des tendances fortes), laquelle peut utilement se manifester par une plus grande implication des acteurs terrains dans la conception et la délivrance de programmes de formation ; cette intensification des échanges débouchera sur une compréhension accrue des métiers par les collaborateurs du service formation, et donc sur une prise de conscience qu’ils ont éventuellement un gap de compétences à combler ! Quelle meilleure façon de les responsabiliser sur leur propre « upskilling » ou « reskilling » ?
Un peu d’humilité (sur la question des compétences L&D) n’est pas superflue : toutes les fonctions de l’entreprise étant désormais travaillées par les changements continus et accélérés, aucune raison que la fonction formation y échappe. Être parfois en retard sur une tendance n'est pas dramatique, si c’est pour mieux anticiper la prochaine fois, en se dotant de nouvelles compétences nécessaires ! On admettra enfin que la fonction L&D est potentiellement menacée de désintermédiation : tout collaborateur (qui sait souvent mieux que quiconque ce dont il a besoin) peut directement accéder à une offre de formation digitale. La valeur potentiellement créée par la fonction formation, valeur qui la justifie aux yeux des « clients », passe forcément par l’actualisation continue de ses compétences.
Premier volet : Ces forces et tendances qui travaillent les emplois L&D
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