L'innovation en digital learning est d'abord affaire de scénario. Un billet de Thomas De Praetere, président de Dokeos. Une rencontre
Carl Vanwelde est médecin généraliste et professeur à l'université de Louvain. Il enseigne l'art d'écouter, de relancer le dialogue du patient avec lui-même. Il a décidé de s'appuyer sur Dokeos pour lancer son premier MOOC.
Lors de notre première entrevue, il me montre une étrange vidéo qu'il a filmée avec l'autorisation de son patient. Nous plongeons en pleine anamnèse : ce colloque singulier - et en principe secret - entre le médecin et son patient.
Au coeur des ténèbres
"Alors docteur, qu'est-ce qu'elles disent mes radios?
- Qu'est-ce que vous en pensez ? demande le médecin.
- Je ne sais pas moi…
- Dites-moi M. Henry, est-ce que vous avez cessé de fumer ?"
Echanges de silences, gêné côté patient, avec un sourire complice tout-de-même, sourire bienveillant côté médecin. "Je fume encore un tout petit peu, dit le patient… En cachette de ma femme dans la petite cabane au fond du jardin." Silences de nouveau, regard plein de compassion du médecin.
En un court extrait (2 minutes 23 secondes) Carl Vanwelde me plonge dans la complexité de la condition humaine : on veut guérir, et pourtant on se tue ! Pulsion de mort, envie que ça n'aille pas. Tout est drapé de mystère. Et le but de ce médecin n'est pas d'y voir plus clair. Il se donnerait plutôt pour mission de convier chacun à sa propre responsabilité.
Du silence comme compétence molle
Le silence, dans cette vidéo, joue un rôle central. Carl Vanwelde ne dit rien. Il ne juge pas. On pourrait presque dire qu'il ne pense pas. Il y a du silence. Pas appuyé. Pas complice. C'est un silence métaphysique. Il semble dire : "Tu es face à ton destin. C'est ta vie. Je ne peux pas te sauver à ta place. Mais je peux t'aider à y voir plus clair et à retrouver du courage.” Regarder cette vidéo en amphi devant 300 étudiants, en discuter, y réfléchir, voilà qui les fait avancer, progresser dans leur art, dans l'interrogation de leurs motivations aussi. Et peut être y-a-t-il moyen de conserver quelque chose de cette puissante interaction pédagogique dans un dispositif e-learning ?
Partir de la situation de terrain
La leçon que je tire de cette rencontre, c'est qu'un bon dispositif d'apprentissage en ligne requiert de l'authenticité. Avant les outils, il y a le contenu, avant le contenu, il y a les activités, avant les activités il y a quelqu'un qui parle et qui pourrait avoir quelque chose à dire. Avant d'avoir quelque chose à dire, il a quelque chose à expérimenter : une difficulté, une blessure, un défi.
Quand j'échange avec des professionnels de la formation, les concepts fusent : soft-skills, feedback, serious games. Très sérieux, ce jeu, en effet. Mais c'est le jeu de la vie tout simplement. Il nous faut y revenir, sans cesse, replonger dans le dialogue socratique qui fait de nous des humains. Descendre du "concept" de soft-skills à l'expérience d'une compétence bien molle, en effet, et bien incertaine, comme on en trouve dans le beau métier de médecin et plus généralement dans les métiers de services.
L'authenticité en e-learning, c'est partir d'une vraie situation, d'une vraie histoire et d'une vraie personne. Cette personne peut être le formateur, le sujet supposé savoir, le professionnel qui a la compétence. On peut aussi fonctionner par l'absurde en prenant comme sujet de référence la personne qui ne sait pas, qui se trompe, qui conduit à la catastrophe. Et on puise alors dans le trésor inépuisable de la comédie, invitant les participants à raisonner par essais et erreurs pour éviter le problème, le résoudre, le circonscrire à travers exercices, jeu des 7 erreurs, raisonnement sur des cas, etc.
Conclusions
Dans tout projet e-learning il s'agit de modéliser la situation dont il est question (ici l'anamnèse) pour tenter d'en extraire des règles de bonne pratique et de reproduire l'interaction de formation si elle existe : ici la discussion avec 300 étudiants après la projection d'une séquence vidéo (en se souvenant si possible de telle interaction réussie avec tel étudiant).
De notre capacité à analyser ces deux dimensions découle l'efficacité du scénario, la pertinence de nos critères d'évaluation et la motivation des participants.
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