James Kirkpatrick était présent à Paris, pour présenter son nouveau modèle d'évaluation de la formation en compagnie de Jonathan Pottiez, Directeur produit et innovation de Formaeva, partenaire certifié Kirkpatrick pour le marché français… Interview à deux voix, décoiffant, exaltant aussi : tout est à faire ou presque en matière d'évaluation !
Le modèle de Kirkpatrick a une cinquantaine d’années, pourtant il n'est que d'utilisation récente dans les entreprises françaises, au moins quand on compare la situation avec celle des entreprises anglo-saxonnes…
Jonathan Pottiez : Nos études et expériences de terrain montrent que les pratiques d'évaluation sont encore peu développées. Pour faire simple : c'est surtout le niveau 1 (réaction) du modèle originel de Kirkpatrick qui est évalué ; plus l'on progresse dans la hiérarchie des niveaux du modèle, moins l'on évalue. C'est paradoxal : on évalue surtout ce qui a peu d'importance !
James Kirkpatrick : Le modèle traditionnel a été sous-exploité parce que les gens ne mettent en oeuvre que les deux premières parties (des questionnaires de réaction pour le niveau 1 et des tests de connaissance pour le niveau 2). Mais aux États-Unis et dans d'autres parties du monde, l'accent est davantage mis sur le nouveau modèle. Au cours des cinq dernières années, l’adoption de ce dernier progresse lentement mais sûrement. Je ne sais pas pourquoi cela n'est pas arrivé sur le continent européen. Peut-être que cela est dû à la langue ou à des différences culturelles ? Aujourd’hui, cependant, des partenaires locaux comme Formaeva en France permettent de se former au nouveau modèle.
Quelle est la principale finalité du nouveau modèle de Kirkpatrick ?
James Kirkpatrick : La plupart des gens pensent que l'évaluation consiste à obtenir des réactions des participants et que cela permettra d’améliorer la formation. C'est en partie vrai. Mais ses principaux objectifs sont surtout de changer le comportement des collaborateurs au travail et d’améliorer les résultats de l'entreprise. C’est la vraie nature de l'évaluation. Elle a également des effets collatéraux positifs, comme le développement d’une culture qui renforcera les comportements attendus chez les employés.
Jonathan Pottiez : Le nouveau modèle va en effet faciliter l'instauration progressive d'une culture du résultat en formation : le responsable formation va s'affirmer progressivement comme étant un véritable partenaire d'affaires, capable de dialoguer avec la direction générale, de démontrer la valeur ajoutée de sa fonction… C'est pour lui un changement de posture, aussi radical que nécessaire.
Justement, en quoi ce nouveau modèle rejoint-il les préoccupations des professionnels de la formation ?
James Kirkpatrick : Les responsables formation sont tenus de démontrer l'impact de leurs formations. Pour être honnête, ils ne sont pas très bons dans ce domaine, parce qu'ils ne fournissent que peu de preuves : des scores de satisfaction et des résultats de quiz… Pourtant, n'importe quelle organisation ayant une mission et un objectif peut s'appuyer sur le nouveau modèle pour s'assurer que la formation contribue à ses résultats stratégiques. En prime, cela aidera tout responsable formation à préserver son emploi et à y prospérer !
Jonathan Pottiez : Les organismes de formation peuvent aussi en tirer des bénéfices substantiels, pas tant au niveau de l'évaluation (plutôt du ressort de l'entreprise), mais plutôt au niveau de l'accompagnement et du renforcement post-formation sur lesquels insiste le modèle. Désormais, les responsables formation, éclairés et bien outillés, seront de plus en plus capables de distinguer les prestataires qui se limitent à délivrer une formation de qualité (niveaux 1 et 2) de ceux qui s'investissent de façon à avoir un impact dans l'entreprise (niveaux 3 et 4). Aux formateurs de s'affirmer comme de véritables consultants en amélioration de la performance, sans se limiter à l'action de formation.
Quels sont les principaux obstacles que vous avez observés dans sa mise en oeuvre ?
James Kirkpatrick : Le principal obstacle survient lorsque les gens croient que l'évaluation n'est rien de plus qu'un questionnaire de satisfaction distribué aux participants après une formation pour savoir s'ils l'ont appréciée, s'ils ont apprécié le formateur, si le café était assez chaud... Et ils pensent que de l'évaluation va sortir une sorte de chiffre magique pour en démontrer la valeur. Cette vision traditionnelle ne fonctionne pas, elle ne mène pas à des résultats tangibles. Nous essayons d'éduquer les gens de la formation, d'abord, dont le travail est ensuite d'éduquer les parties prenantes : leurs besoins relèvent d'une approche différente de l'évaluation et même de la formation. Les formations, seules, n'ont pas assez de force pour apporter des changements importants au niveau 3 (comportement) et au niveau 4 (résultats). Or, trop de professionnels de la formation y concentrent tous leurs espoirs. À la place, il doit y avoir un ensemble équilibré comprenant la préparation pré-formation, une formation ciblée et un soutien continu en aval (responsabilisation, renforcement, reconnaissance, coaching…). En bref, toutes les choses qui se produisent après la formation et qui vont lui permettre de donner des résultats.
Jonathan Pottiez : J'ajouterai le fait que les responsables formation se focalisent encore trop sur des sujets d'importance secondaire. Par exemple, l'ingénierie pédagogique, aussi importante soit-elle, n'est pas de leur ressort. Elle est l'affaire des concepteurs, des formateurs… Eux doivent concentrer leur action à établir des liens entre le monde de la formation et celui de l'entreprise.
Faut-il sortir de la logique de ROI (retour sur investissement) et se concentrer sur le ROE (retour sur les attentes) ?
James Kirkpatrick : Si la logique du ROI consiste à essayer d'isoler l'impact de la seule formation, je vous encourage fortement à abandonner cette approche. Premièrement, la formation seule n’est pas suffisamment puissante. Deuxièmement, cela exclut les efforts des coachs, des managers et de toutes les personnes qui apportent de la reconnaissance, du renforcement, de la formation au poste de travail. Au lieu de cela, nous préconisons d'adopter le modèle du retour sur les attentes (ROE). Cela signifie d'abord de déterminer quelles sont les attentes de l’entreprise en ce qui a trait à la formation, puis comment y répondre. Et nous aimons déterminer la contribution relative de chacun des facteurs de réussite mentionnés précédemment plutôt que d'isoler un seul facteur.
Jonathan Pottiez : Comprenons bien que lorsqu'une direction générale dit au responsable formation "montre-moi le retour sur investissement de tes actions", elle n'en attend pas une démonstration comptable. Elle dit simplement en substance "montre-moi ta contribution aux résultats de l'entreprise". Cela change la donne et le ROE est donc tout indiqué.
En quoi consistent les programmes de certification Kirkpatrick ?
James Kirkpatrick : Ils fournissent les connaissances, les compétences et les outils pour accomplir tout cela. Nous avons un programme de certification bronze qui enseigne les bases du nouveau modèle : comment modifier les outils et techniques, commencer "par la fin" et développer un plan d'évaluation pour un programme stratégique prêt à être mis en oeuvre. Le programme de certification argent accompagnera les participants dans la mise en oeuvre de leur plan d'évaluation et la démonstration finale des résultats. Enfin, certains d'entre eux voudront être des fers de lance, des "étoiles" au-delà de leur propre organisation, ce à quoi correspond la certification or.
Jonathan Pottiez : En tant que seul facilitateur français certifié Kirkpatrick, j'ai déjà animé plusieurs sessions en intra-entreprise depuis septembre 2014. Les retours sont très satisfaisants et les participants créent de façon autonome des dispositifs d'évaluation jusqu'au niveau 4 ! À n'en pas douter, les pratiques d'évaluation en France devraient donc évoluer. Nous organisons d'ailleurs notre première session inter-entreprises les 7 et 8 avril 2015 à Paris. D'autres sessions sont en cours de programmation.
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