Un signe des temps difficiles que traverse le marché français de la formation et du e-learning de première génération… Le rachat de CrossKnowledge marque-t-il la fin d'une époque ? Pas sûr que les clients en sortent gagnants…
Ce rachat aura permis de connaître officiellement le chiffre d’affaires de CrossKnowledge, non publié jusque-là : 27 millions d’euros. C’est un chiffre conséquent, mais qui apparaît décevant eu égard aux investissements et à la surface médiatique occupée par l'entreprise depuis bientôt 15 ans. Confirmation demandée : CrossKnowledge réalise 15 millions d’euros sur le marché français. 55% du total de ses revenus : l'entreprise reste largement ancrée sur son marché domestique malgré ses investissements en Europe, aux États-Unis ou ailleurs. A l’instar des leaders de la FPC traditionnels, comme Demos ou Cegos, qui réalisent encore le plus gros de leur activité dans l’Hexagone - pour ne pas citer ceux qui suivent, dont la présence à l’international est le plus souvent insignifiante.
Une leçon à méditer : malgré ses lourdeurs, la réglementation de la FPC a fait de la France, pendant de longues années dont le cycle est en train de s’achever dans la douleur, une sorte de pays de cocagne, un îlot préservé qui n’a pas préparé nos opérateurs à la compétition internationale, et dont les bizarres tropismes ont au contraire constitué une solide barrière à l’installation de concurrents étrangers sur le sol français. La répartition géographique des revenus de CrossKnowledge montre que cette leçon vaut aussi, dans une moindre mesure, pour les acteurs du e-learning 1.0, malgré l'affranchissement des frontières et la localisation en quinze langues et plus des contenus e-learning.
CrossKnowledge passe donc sous la bannière d’un acheteur - le groupe Wiley, inconnu de la plupart des acteurs du marché français - doté d’une belle fringale : c’est sa deuxième opération, coup sur coup, après l’acquisition de Profiles, une entreprise anglo-saxonne de 150 salariés (200 pour CrossKnowledge) spécialisée en particulier dans les tests de pré-recrutement.
La transaction est faite pour un montant d’environ 130 millions d’euros payés en espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui est toujours préférable à la loterie du paiement en actions (souvent une monnaie de singe, n’est pas Google ou Apple qui veut). On a envie de crier "Bravo l’artiste !", car le ciel est en train de se couvrir pour les pionniers du e-learning (comme pour les OF traditionnels). Mille et un signe l'annoncent, dont le plus visible : ces MOOC qui vont rapidement rebattre les cartes - ce qui n'a pas échappé à CrossKnowledge dont on sait les liens étroits avec des universités avides à leur tour de se développer dans la formation continue. Au-delà des raisons invoquées dans ce type de rapprochement d’entreprise - diversification des offres, diversification géographique, etc. - ces menaces ont forcément pesé.
Création de valeur pour les clients de CrossKnowledge ? Wait and see… L’offre de contenus sur étagère, et les contrats grands comptes afférents, ne devraient pas trop souffrir à moyen terme. Ils pourraient même s’enrichir des contenus apportés par Wiley, sous réserve de mise en cohérence. Pour la technologie, il en va autrement : on voit mal que la CrossKnowledge Suite (intégration d’outils achetés à l’extérieur - Epistema, Mohive) puisse devenir une priorité du nouvel ensemble : les jeux sont déjà faits sur le marché des solutions auteurs ou de gestion de la formation et des talents, pour une Suite qui, de toute façon, était partie de trop loin pour trouver sa place dans le concert mondial.
Michel Diaz
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