Le responsable de formation sera certainement l’acteur le plus touché par la réforme… Fin de la 24-83 : transformation en profondeur du métier… Inquiétant ? Forcément comme tout changement… Surtout : formidables opportunités à saisir !
Fin de la 24-83 = baisse des budgets de formation, et alors ?
Les responsables de formation sont partagés sur l'interprétation de ce coup de tonnerre. Pour résumer : séduits par cette simplification administrative, inquiets pour leur budget ! Craignant en effet que direction générale et financière s'accordent pour exiger des économies là où l'obligation de dépenser a disparu, ce qui, admettons-le, est hautement probable. Est-ce pour autant un réel problème pour la fonction formation ? Il faut plutôt qu'elle y voit l'occasion historique de se réinventer. Et de se revenir à la question qui sous-tend fondamentalement la réforme : comment faire mieux avec moins ? Conseil aux responsables formation : ils ont mieux à faire que de dépenser leur énergie à lutter contre les exigences de leurs contrôleurs budgétaires… Un combat perdu d'avance. Mieux vaut innover notamment en repensant les modalités de formation.
Une piste devenue évidente : digitaliser la formation pour faire mieux avec moins. C'est dans l'air du temps, à juste titre comme le montrent les multiples réussites de cette approche. Oui, mais… Digitaliser, ce n'est pas seulement seulement faire migrer les cours présentiels vers des formations e-learning. C'est beaucoup plus que ça. Notamment, développer des MOOC d’entreprise ou COOC (Corporate Open Online Course), et plus globalement généraliser l’approche SPOC (Small Private Online Course)… Je sais, ça fait beaucoup d'acronymes… Mais on finira par s'y faire ! C'est intégrer le digital au présentiel pour passer du groupe étriqué de 12 participants à des communautés apprenantes étendues à 36 voire 48 ou 60 apprenants, et augmenter ainsi le ratio nombre de stagiaires / formateur. Les classes virtuelles aussi ne devraient pas tarder à s'imposer ; elles offrent le double avantage de réduire les coûts de déplacement et d’hébergement et de renforcer l'individualisation des formations. Enfin (liste non exhaustive), digitaliser les processus de gestion de la formation et notamment le conseil en matière de CPF et l’entretien professionnel. Ce dernier devra être formel et tracé. Sans passage au digital, il court le risque d'être une usine à gaz de plus ! Réinvestir le champ politique : ce doit être un autre objectif majeur du responsable de formation dans l'entreprise. Cela signifie, pour lui, aider son comité de direction à élaborer des axes prioritaires réellement alignés avec la stratégie de l’entreprise, pour concentrer les plans de formation sur l’essentiel. Avec la disparition de l’obligation fiscale, c'est la formation comme levier social qui disparaît : une formation qui était trop souvent destinée à satisfaire des exigences légales et des demandes sociales. On comprend pourquoi cette formation a déserté l'agenda des comités de direction : la DRH seule, ou le Directeur formation, suffisaient à gérer ces aspects. Faire de la formation pour faire de la formation, c'est terminé : il faudra maintenant s'attacher à servir au mieux les besoins stratégiques. L’occasion d'une fonction formation replacée au niveau stratégique qui doit être le sien.
Parlons enfin du terrain… La fonction formation existait bien avant que soit promulguée la loi de 1971 et la mise en place de l’obligation fiscale. Sa valeur ajoutée n’était alors pas tant administrative et financière que pédagogique. La réforme de 2014 offre au responsable de formation une opportunité de revenir aux origines et aux fondamentaux de son métier et de faire à nouveau de la pédagogie au plus proche du terrain. Les chantiers ne manquent pas qu’ils soient, qu'ils soient à destination des managers ou des apprenants… Il est plus que jamais nécessaire, par exemple, de former les managers au développement des compétences collectives et individuelles de leurs collaborateurs, de les aider à concevoir et déployer des formations internes. Nécessaire aussi d'aider les salariés à devenir les principaux acteurs de leur formation. Une idée généreuse, mais qui supposent des salariés capables de s’autoformer, pour devenir réalité.
S’investir à nouveau dans le champ pédagogique : un moyen évident de réduire les coûts de formation, car le responsable de formation limitera son appel aux organismes de formation externes. Avec cette réserve : il devra éviter de verser dans l'excès et de limiter sa valeur ajoutée à la seule animation de formations. Il devra se concentrer sur les formations à fort enjeu. Et l'on comprend pourquoi il doit veiller soigneusement à son expertise en ingénierie de formation.
Enfin, l’optimisation du budget formation passera par une gestion au cordeau des cofinancements. Jusqu’à présent, les branches ne se montraient pas bien exigeantes en matière d’ingénierie pédagogique. Les cofinancements "DIF prioritaire" ou "Période de professionnalisation" étaient facilement obtenus pour des stages ou des parcours de formation plus ou moins longs. Demain, il en sera tout autrement : il faudra bâtir des actions qualifiantes. Le responsable de formation doit développer une compétence d’ingénierie de certification, pour transformer des parcours de professionnalisation multimodaux en actions certifiantes aptes à figurer sur des listes CQP, RNCP ou inventaire du CNCP. Tout, quasiment, est à créer, tant les expériences sont rares dans le domaine. C’est un défi passionnant pour les responsables de formation.
Loin d’être un risque pour les responsables de formation, la réforme de la formation peut représenter une opportunité pour lui permettre d’élever son niveau de jeu : s’investir dans la digitalisation de la formation, ré-investir les champs politiques et pédagogiques et augmenter son niveau d’expertise en ingénierie. Mais pour cela, il est impératif qu’il ne s’arc-boute pas sur une vision trop administrative de la formation et qu’il s’engage dans une ré-ingénierie de la fonction formation.
Marc Dennery
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