Thales Université propose un parcours de sensibilisation au handicap exemplaire… L'ensemble des salariés peuvent en bénéficier, à commencer par les salariés en situation de handicap… Isabelle Dubois-Mejia, responsable de ce parcours chez Thales Université, tire le bilan positif d'une expérience appelée à se généraliser grâce à l'utilisation optimale du e-learning…
Thales est en pointe dans l'utilisation du e-learning pour sensibiliser les salariés au handicap…
Isabelle Dubois-Mejia : Nous avons en effet développé un parcours e-learning de sensibilisation au handicap composé de 4 modules et disponible en 3 langues – français, anglais, polonais – visant plusieurs objectifs. D'abord, à s’interroger et modifier le regard porté sur le handicap grâce à une meilleure compréhension des mécanismes des stéréotypes. Il s'agit aussi de pouvoir tester et améliorer son niveau de connaissance sur les différentes formes de handicap, et de s'inspirer des bonnes pratiques permettant de réussir l’accueil et l’inclusion de personnes en situation de handicap. Le parcours vise aussi un objectif de compréhension de la loi ; je rappelle que cette démarche s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Enfin le parcours intègre une présentation du dispositif d’accompagnement chez Thales, dont il est une facette des politiques RH et RSE, et chez les universités partenaires du projet.
En parallèle, et à titre d’exemplarité dans un premier temps, il a été décidé de rendre les modules accessibles.
A qui s'adresse ce parcours de formation ?
Isabelle Dubois-Mejia : C'est un parcours qui vise tous les collaborateurs de l’entreprise dans le monde entier mais en particulier les managers pour les accompagner dans l’inclusion de personnes en situation de handicap dans leurs équipes.
Les modules s’adressent également, chez les partenaires du projet, à l’ensemble du personnel universitaire ainsi qu’aux étudiants en tant que futurs managers. Les cours peuvent être suivis par tous, y compris les personnes ayant des déficiences auditives, visuelles ou motrices.
Justement, qui ont été vos partenaires ?
Isabelle Dubois-Mejia : Le projet a pu être mené à bien par la collaboration effective des Missions Insertion de Thales, de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) et de l’Université Jagiellonian de Cracovie, toutes trois liées par un accord de coopération.
Plus précisément, la conception pédagogique et la gestion de projet ont été confiées à Thales Université qui s’est adjoint les compétences de prestataires tels qu’Atalan, spécialisé dans l’accessibilité web, et UnI Learning pour la réalisation des modules. Enfin, des managers et des personnes en situation de handicap divers ont apporté leurs témoignages.
Thales étant une entreprise globale, comment les diverses réglementations locales ont-elles été prises en compte ?
Isabelle Dubois-Mejia : Nous avons pu constater, en effet, des divergences culturelles notoires d’un pays à l’autre, notamment chez les anglo-saxons pour qui le projet lui-même pouvait être jugé discriminatoire. Nous avons dépassé ces obstacles en partant des textes fondateurs des Nations Unis et des Droits de l’Homme tout en évoquant les principales caractéristiques des réglementations de quelques pays. Nous avons aussi décidé de traiter les spécificités nationales de façon plus approfondie, dans le cadre des sessions présentielles. La disparité que je viens de mentionner se retrouve également dans la classification des différentes formes de handicap, ce qui a rendu très difficile l’obtention de statistiques globales.
Quels freins techniques avez-vous rencontrés dans la création de ce parcours e-learning, dès lors que vous avez décidé de le rendre aussi accessible aux personnes en situation de handicap ?
Isabelle Dubois-Mejia : Le plus difficile a été de faire en sorte que les modules e-learning puissent prendre en compte la déficience visuelle et optimiser la restitution des lecteurs d’écran spécifiquement utilisés par les personnes non-voyantes. Ces adaptations concernent notamment le contenu pédagogique qu'il est nécessaire de légender, voire de décrire dans le code, en particulier pour celles des images porteuses de sens dont l’information n’est pas véhiculée dans la voix-off. Adaptation aussi des fonctions d’interactivité, car il faut par exemple éviter les activités d’association par glisser-déposer et les zones sensibles, ou du graphisme et de l’ergonomie, pour éviter certaines couleurs et renforcer les contrastes… Ce qui explique que nous n'ayons utilisé la technologie Flash que pour des animations ponctuelles. Côté développement, la code html doit être très bien structuré et renseigné très proprement pour faciliter la lecture au clavier.
Quant aux déficiences auditives, le sous-titrage de la voix-off suffit en général.
Enfin, il faut prévoir des zones de sélection suffisamment larges lors d’exercices interactifs pour les personnes ayant des difficultés à utiliser la souris et à maîtriser les mouvements du curseur de manière précise.
Malgré les prédispositions de Lectora, l'outil que nous avons sélectionné pour ces premiers modules, ces adaptations de base, simples en apparence, se sont révélées plus complexes que prévu à développer et ont nécessité une reprise manuelle laborieuse du code html. Depuis, nous avons développé un module sous StoryLine… Les outils d’édition semblent évoluer dans le bon sens, par l'intégration native de la plupart des contraintes de l’accessibilité.
Un tel projet suppose-t-il une conduite spécifique ?
Isabelle Dubois-Mejia : La gestion de projet a intégré des phases de recommandations générales sur le fond et sur la forme et de validation technique par notre prestataire Atalan. Par ailleurs, le comité de pilotage incluait une personne non-voyante qui a validé toutes les étapes du projet, de sa définition à sa livraison. Enfin, une revue a été effectuée par une collaboratrice malentendante.
Une dernière remarque… Notre souhait de rendre le parcours de formation accessible a entraîné un surcoût significatif dû notamment au temps passé supplémentaire. Mais la maturité des nouveaux outils d’édition et l’expérience nouvellement acquise des architectes pédagogiques et des développeurs nous permettent aujourd'hui de maîtriser ce surcoût.
Quels enseignements tirez-vous de cette expérimentation ?
Isabelle Dubois-Mejia : D'abord que la mise en accessibilité des modules e-learning n’implique aucune dégradation de leur qualité pédagogique, graphique ou technique. La centaine d’apprenants qui ont suivi le parcours à ce jour n’ont vu aucune différence. Les exigences de l’accessibilité ne font que renforcer l’état de l’art de la conception et réalisation de modules e-learning. En outre, l’application du principe de "conception universelle" - qui caractérise les compensations à mettre en place pour combler le déficit lié au handicap - permet à tous les collaborateurs, en situation de handicap ou non, de bénéficier des mêmes ressources de formation pour leur développement personnel et professionnel, et donc, pour l'entreprise, d’être en conformité avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La généralisation va donc de soi mais, tant que les outils n'intègrent pas l'accessibilité de façon native, encore faut-il que la démarche soit bien anticipée dès le début du projet.
Quant à notre regard sur le handicap, celui des acteurs du projet, le mien, il a profondément changé. Nous avons pris conscience que le handicap ne se résume pas à une déficience physique ou mentale d’un individu mais est aussi le résultat d’un déficit d’aménagements de son environnement qui le place dans une situation d’exclusion. Le handicap est bien l’affaire de tous, non seulement parce qu'il peut nous toucher à tout moment mais aussi parce qu’il est de notre responsabilité individuelle et collective d’inclure les personnes en situation de handicap dans le tissu social. Nous ne voyons plus le handicap comme un état mais bien comme une "situation de handicap"… Là où nous ne voyions que fatalité, contraintes, obstacles et incapacités, nous voyons aujourd’hui s’ouvrir les portes du possible, invitant aux défis à relever, voire au dépassement de soi.
Propos recueillis par Michel Diaz
Isabelle Dubois-Mejia interviendra dans le cadre du webinar "Handicap et e-learning" du 21 mai 2013 à 11h.
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