Chacun dans son coin, smartphone en main, à repousser ou annuler les engagements pris quelques jours plus tôt. Ce phénomène a un nom : le flaking. Derrière cette tendance apparemment anodine, un défi majeur se dessine pour la formation en entreprise : comment capter, engager et retenir l’attention de salariés jeunes, rompus à l’art d’annuler à la moindre contrariété ? Loin d’être anecdotique, la réponse à cette question pèsera lourd sur l’avenir de la fonction formation en France.
Former sans tenir compte du flaking, c’est perdre la bataille de l’attention
Il fut un temps où l’inscription à une séance de formation suffisait à garantir la présence. C’est terminé. Le flaking, cette tendance documentée par plusieurs enquêtes récentes, notamment auprès des 18-29 ans, bouleverse profondément les réflexes d’engagement. Plus de la moitié de cette tranche d’âge reconnaît accepter des projets pour finalement les annuler à l’approche de l’échéance. La formation n’échappe pas à ce mécanisme. Inscription enthousiaste au moment de la communication interne, désistement silencieux le jour J. Le confinement a aiguisé ce réflexe. Le rapport au temps immédiat, la surcharge mentale, l'aspiration à un confort émotionnel permanent sapent les ressorts traditionnels de l'engagement. Le salarié d’aujourd’hui — et plus encore celui de demain — ne refuse pas d’apprendre, mais il rejette ce qui lui impose un effort supplémentaire au mauvais moment. Le stress d'une session prévue, même en distanciel, peut suffire à provoquer un renoncement express. Résultat : la formation devient un terrain d’improvisation émotionnelle où le planifié n’a plus de prise.
La planification lourde a vécu, place à l’instantanéité
La planification, cette grande complice historique de la formation, se retourne aujourd’hui contre elle. Bloquer une demi-journée sur son agenda, même plusieurs semaines à l’avance, n’apporte plus la sécurité de la présence. Cela ajoute au contraire un poids : celui d’une contrainte future que beaucoup chercheront à éviter le moment venu. Cette réalité exige une refonte radicale du modèle d'organisation des actions de formation. Exit les calendriers lourds, les convocations rigides. Les directions formation doivent désormais penser en termes de spontanéité maîtrisée : proposer, plutôt qu’astreindre. Ouvrir de courts créneaux, aisément accessibles, sans que le salarié ressente la moindre obligation écrasante. Autrement dit : « formation à la carte » et sessions ultracourtes disponibles à la demande.
Promettre pour demain ne suffit plus : il faut captiver aujourd’hui
Face au flaking, il ne suffit plus d'annoncer des bénéfices futurs, aussi alléchants soient-ils. Les nouvelles générations veulent ressentir un bénéfice immédiat à leur engagement. Dans la formation, cela implique de revoir la promesse faite aux apprenants. Ne plus vendre un parcours, mais une expérience tangible, accessible, gratifiante dès les premières minutes. Les projets d’apprentissage immersif, fondés sur des jeux de rôles en réalité virtuelle ou des ateliers pratiques hyper-ciblés, connaissent une montée en puissance. Non pas parce qu'ils sont innovants par essence, mais parce qu'ils procurent ce que la psychologie du flaking réclame : une gratification rapide, une implication émotionnelle immédiate, une sensation d'utilité sans délai. Le Digital Learning français, traditionnellement plus « programmatique » que ses équivalents anglo-saxons, doit accélérer son pivot vers des expériences à haute valeur d'usage instantané. Cela suppose aussi, pour les responsables de formation, d’accepter que certains dispositifs longs et structurants devront cohabiter avec ces « sprints d'apprentissage » bien plus souples.
Sans autonomie, pas d’engagement durable
Le paradoxe du flaking, c’est qu’il révèle une soif de liberté plus qu’une paresse généralisée. Refuser une contrainte n'est pas refuser l'apprentissage : c'est exiger d'en être maître. Dans ce contexte, la fonction formation a tout intérêt à déplacer le curseur : passer d’une logique de prescription à une logique de confiance. Les responsables de formation pourront alors miser sur des modèles où les salariés choisissent aussi bien le moment et la forme de leur apprentissage que son contenu. Ce pari sur la liberté peut sembler risqué dans un pays où la culture RH reste largement marquée par la gestion normative des compétences. Mais, il correspond mieux aux aspirations des jeunes salariés qui n’acceptent plus de dissocier performance et bien-être, et qui recherchent l'utilité concrète, immédiate, dans leur poste ou leur projet personnel. Il est urgent d'adapter les systèmes d’évaluation pour valoriser ce qui compte vraiment pour eux.
Prévoir l'absence pour mieux sécuriser l’acquisition des compétences
Plutôt que de lutter contre le flaking à coups de rappels et de sanctions molles, mieux vaut en tirer les conséquences. Le taux de no-show n’est plus un accident, c’est une variable structurelle à intégrer dès la conception des sessions. Prévoir des alternatives en asynchrone, organiser des rattrapages fluides, proposer des formats « pick and go » en libre accès : autant de pistes à explorer pour éviter que l'absence d'un jour n'efface complètement la dynamique d'apprentissage. Les responsables de français devront aussi composer avec un environnement réglementaire qui valorise encore largement la traçabilité et le formalisme. Réussir cette transition suppose de dialoguer étroitement avec les services RH, les juristes et les représentants du personnel pour bâtir des dispositifs souples, mais conformes. Le flaking n’est pas qu’un caprice de génération ; il est l’indice d’une mutation profonde du rapport au temps, à l’engagement, et finalement à la promesse d’épanouissement professionnel. Un défi que la fonction formation ne pourra pas esquiver.
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