En matière de stratégie de Learning, le déploiement de « l’entreprise étendue » (extended entreprise) est associé au développement d’écosystèmes complexes de parties prenantes interconnectées (fournisseurs, clients, etc.) qui doivent se développer et grandir ensemble afin de délivrer la performance attendue. Quelques réflexions autour de ce concept prometteur sur lequel les départements L&D ont intérêt à se pencher, ne serait-ce que pour les leçons que peut en tirer toute stratégie de formation, même lorsqu’elle ne concerne pas l’entreprise étendue.
De l’entreprise étendue à la formation étendue
On peut définir l’entreprise étendue comme un ensemble d'entreprises et d'acteurs économiques associés dans la réalisation de projets communs. En cela, « l’entreprise étendue correspond avant tout à une mise en réseau des compétences » (confère « L’entreprise étendue » : un modèle qui devient incontournable ?). Dans le champ du Learning on peut l’associer à l’ensemble des acteurs externes à l’entreprise avec lesquels celle-ci partage des contenus, des dispositifs, des expériences ou des stratégies d’apprentissage, dans une logique de coopération, de performance collective et d’innovation. Ces dernières années, plusieurs exemples ont révélé l’ouverture des « savoirs » de l’entreprise au monde extérieur. On peut citer les entreprises qui proposent, au travers d’une mission sociétale, la mise à disposition de leurs propres contenus digitaux de formation aux familles de leurs salariés, par exemple pour soutenir l’apprentissage de leurs enfants ; de même, des entreprises mettant à disposition des contenus de formation auprès de start-ups qu’elles accompagnent et incubent dans l’espoir de voir émerger des produits ou des solutions pertinents dans leur domaine d’activité. Autre illustration : la coopération, voire la coopétition rapprochant momentanément, sur terrain « neutre », les départements L&D dans la cocréation et le codéveloppement de contenus de formation, sources d’idéation collective et d’efforts budgétaires partagées ! Cette approche, que l’on qualifiera de « formation étendue » (extended learning), est le plus souvent le fruit d’une longue maturation de la stratégie de formation initialement mise en œuvre au service des salariés de l’entreprise. Car assurément, en matière de formation interne, les défis sont déjà grands : connexion au business, conception, délivrance et évolutivité des dispositifs de Learning, internationalisation… dans un contexte de changement incessant. Gagner en maturité dans cette transformation du Learning nécessite beaucoup de temps (souvent plusieurs années). La formation étendue : démonstration d’une sorte d’aboutissement et de maîtrise avérée et reconnue du Learning dans l’entreprise, dans une nouvelle perspective de savoirs désormais externalisés et partagés.
Grandir ensemble : un écosystème de parties prenantes interconnectées
La complexité grandissante du Business va de pair avec le maillage toujours plus serré des parties prenantes et des compétences impliquées dans la conception, le déploiement et l’utilisation des biens et des services proposés par l’entreprise à ses marchés. Tous les acteurs de cette chaîne doivent se mettre au rythme du « grandir ensemble » en temps réel. Les fournisseurs et les sous-traitants, bien sûr, qui doivent se former aux standards, aux normes, méthodes ou outils de l’entreprise ; les clients « BtoB » (Business to business) qui apprendront ainsi à utiliser efficacement les produits qu’ils ont achetés à l’entreprise ; les distributeurs et partenaires dont la performance commerciale dépend de leur degré de connaissance des produits qu’ils revendent ; les start-ups et autres partenaires technologiques si l’entreprise souhaite en faire une source de veille, de co-innovation ou d’acculturation à de nouveaux usages… Bien d’autres parties prenantes appartiennent à cette entreprise étendue : les institutions académiques, dans la coconstruction de cursus, développement de l’alternance, viviers de compétences, laboratoires de l’innovation pédagogique ; les OPCO et autres régulateurs qui interviennent dans la structuration de l’offre de formation, le financement, la certification ou la normalisation ; les clubs où les responsables de formation s’échangent des informations et des bonnes pratiques (confère la pratique des « Learning Expéditions »). Dans le secteur industriel, par exemple, on rappellera l’enjeu du soutien et de la montée en compétences de l’ensemble des fournisseurs de l’entreprise dans le champ des normes qualité essentielles à la réussite de ses chaînes d’approvisionnement et de production. La pénurie de ressources qualifiées contraint nombre d’entreprises à développer leurs propres écoles, « sas d’entrée et de mise à niveau préalable » (reconversion, montée en compétences) à mi-chemin du monde de l’éducation et de l’entreprise.
Concevoir et déployer la formation de l’entreprise étendue
Vision et stratégie doivent donner en s’appuyant sur deux idées-forces : une ambition et un positionnement clair. Toujours partir des objectifs business ! En embarquant les parties prenantes concernées — montée en compétences des fournisseurs, par exemple, ou formation des clients aux produits de l’entreprise — avec des indicateurs (KPI) pertinents. Ensuite (clarté du positionnement), il s’agit de veiller à la cohérence du dispositif de formation étendue avec l’écosystème de Learning déjà en place dans l’entreprise source. Affaire, également, de gouvernance fondée sur une cartographie des parties prenantes et de « RACI » (ou de toute autre approche de distribution des rôles et des responsabilités). L’épreuve la plus délicate réside sans doute dans les composantes juridiques, contractuelles et de sécurité d’un tel projet : ouvrir l’écosystème de Learning de l’entreprise à l’extérieur n’est pas mince affaire. Les points de vue peuvent différer en les parties prenantes (achats, IT/DSI, RGPD, juridique…). L’écosystème numérique de formation existant (LMS, LXP), son degré d’ouverture détermineront largement la réussite du projet : modalités d’accès, gestion des profils externes, expérience personnalisée selon les publics, statistiques d’usage différenciées… Les questions ne manquent pas, qu’il faut se poser le plus tôt possible, notamment avec les fournisseurs de plateformes digitales !
Retour d’expérience et compléments
Dans un projet de formation étendue centrée sur les clients d’un grand groupe industriel, il a été choisi de mettre en œuvre une plateforme distincte (sécurisation, indicateurs de pilotage et portail dédiés). Chaque filiale de l’entreprise dispose, pour ses clients, ainsi d’un portail de formation avec un point d’accès et une esthétique unique. Certains éditeurs de plateforme proposent également des « compartiments » sécurisés avec un accès limité aux seuls contenus proposés. On veillera alors, par exemple, tous les trois mois, à en purger les accès. Enfin, il ne faudra pas oublier les deux « lots de travaux » attachés à la communication ou à la mise en place d’une véritable conduite du changement. Considérées dans la gouvernance générale du projet, ces deux dimensions pourront rester l’apanage du département formation, décidément centre de pilotage et d’animation des diverses initiatives, avec la gestion de tous les éléments transverses dont l’administration générale de la plateforme de l’entreprise étendue, les principes et consignes sécuritaires… ou encore le modèle financier négocié au niveau Groupe. C’est là un élément particulièrement important, à creuser sous l’angle des mutualisations possibles (licences d’accès à la plateforme financées au prorata par chaque filiale engagée). Parce qu’il s’agit aussi que le département L&D conserve le budget de ses prochaines innovations !
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