Dans les couloirs d'un centre d'ingénierie Thales, un malentendu entre équipes françaises et roumaines aurait pu rester une simple anecdote de friction interculturelle. Il est devenu le point de départ d'une transformation profonde des pratiques collaboratives du groupe. Ce qui frappe dans cette histoire, c'est la capacité de l'entreprise à métamorphoser une situation de tension en levier stratégique de développement des compétences. 

« Notre société s'internationalise et notre vision "Going Global" exige un alignement des équipes multiculturelles »

En rencontrant Hector Daniel Hernandez, on comprend rapidement que le conflit franco-roumain a servi de révélateur. Derrière les tensions apparentes se cachait un constat fondamental : ces ingénieurs partageaient une même passion pour l'excellence technique. « Ce terrain d'entente a servi de fondation pour rebâtir la confiance », note-t-il simplement. Le diagnostic était clair : perception de manque de respect culturel, déficit de confiance et sentiment d'absence de reconnaissance du travail accompli. Des symptômes classiques des frictions interculturelles que l'on retrouve dans de nombreuses multinationales. Mais là où d'autres auraient opté pour une simple médiation, Thales a choisi une voie plus ambitieuse. L'initiative "TIM Team" (Thales International Mindset) est ainsi née, devenant la pierre angulaire du programme Global Mindset. Une approche qui trouve sa justification dans la stratégie globale du groupe. « Notre vision Going Global nécessite un véritable alignement des équipes multiculturelles », résume Hector Daniel Hernandez. L'originalité du programme réside dans son architecture pédagogique en trois phases. Baptisée READY, STEADY, GO, cette progression permet d'engager les collaborateurs selon différents niveaux d'implication. Une approche intuitive qui rappelle celle des sportifs de haut niveau se préparant à une compétition.

La phase READY s'articule autour de webinaires interactifs d'une heure. Accessibles et engageants, ils sensibilisent un large public aux fondamentaux de l'intelligence interculturelle. La dynamique rappelle celle d'un éveil des consciences, nécessaire avant toute transformation. Vient ensuite la phase STEADY, plus concrète et immersive. « Nos ateliers collaboratifs se concentrent soit sur des contextes culturels spécifiques, soit sur des compétences transverses essentielles », précise Hector Daniel Hernandez. La construction de la confiance, la gestion de la hiérarchie ou l'art du feedback en contexte international y sont décortiqués à partir de cas réels. Le dispositif culmine avec la phase GO, où la personnalisation devient maître-mot. Des ateliers sur-mesure sont co-construits avec les managers et leurs équipes. L'application immédiate des apprentissages dans le contexte professionnel des participants est ainsi garantie. Une approche qui tranche avec les formations interculturelles génériques que l'on trouve habituellement sur le marché.

« Les données agrégées permettent de dresser un profil culturel global de Thales »

Le "Décodeur de cultures », épine dorsale technologique du dispositif, est une application web qui analyse 18 dimensions culturelles à travers 70 pays, pour explorer les subtilités des interactions internationales avec une finesse inédite. L'utilisation est aussi flexible qu'intuitive. Les collaborateurs déterminent leur profil culturel personnel avant de le comparer à celui d'un autre pays, d'un collègue ou même de leur organisation. Des modules de micro-learning de 15 minutes complètent le dispositif, offrant des mises en situation concrètes adaptées aux différents contextes culturels. « L'application s'intègre naturellement à chaque phase du parcours », explique Hector Daniel Hernandez. Elle peut être utilisée en préparation des ateliers ou pour prolonger la réflexion après les sessions. Elle trouve également sa place lors des lancements de projets internationaux ou des revues d'équipes multiculturelles.

Mais c'est peut-être dans l'agrégation des données que réside la véritable innovation. En compilant les profils individuels, Thales parvient à dresser une cartographie culturelle globale de l'entreprise. Ces précieuses informations permettent d'affiner continuellement les contenus de formation et d'identifier les axes de progression prioritaires. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Les premiers ateliers ont obtenu une évaluation moyenne de 3,5 sur 4, générant une forte demande d'extension du programme. Plus remarquable encore, près de 100 participants issus de toutes les Global Business Units et de tous les continents ont participé aux sept premiers ateliers, qui ont affiché complet sans effort particulier de promotion. L'adhésion du management constitue peut-être le plus grand succès. Pas moins de 150 directeurs d'ingénierie ont manifesté leur intérêt pour devenir ambassadeurs de la démarche. Une mobilisation spontanée qui témoigne de la pertinence du programme face aux défis quotidiens rencontrés par ces cadres.

« D’ici fin 2027, nous visons 4 500 managers formés aux soft skills en contexte international »

Au-delà des indicateurs de satisfaction, l'impact opérationnel se manifeste déjà. Cinq programmes sur-mesure ont été lancés, avec des améliorations tangibles dans la qualité des échanges et la gestion des tensions culturelles. Plus structurellement, le profil culturel Thales commence à s'intégrer dans les stratégies de mobilité et de formation du groupe. « Notre ambition va bien au-delà de la formation », affirme Hector Daniel Hernandez. « Nous visons une transformation durable des pratiques managériales. » Le plan de déploiement s'étale sur trois ans avec des objectifs chiffrés impressionnants : 4 500 managers formés aux soft skills en contexte international, 3 000 hauts potentiels engagés dans des parcours de leadership interculturel, et 1 000 utilisateurs actifs du Décodeur dans les six GBUs du groupe. En parallèle, Thales constitue une communauté d'ambassadeurs passionnés par la collaboration interculturelle. Leur mission s'articule autour de deux axes : identifier les forces culturelles spécifiques pouvant contribuer au succès des projets technologiques et créer une dynamique de gestion des connaissances interculturelles accessible à tous.

Ce qui distingue fondamentalement cette approche, c'est le regard porté sur la diversité culturelle. Loin d'être perçue comme un obstacle à surmonter, elle devient une ressource stratégique à exploiter. « Le programme Global Mindset est un véritable levier de notre stratégie talents », confirme Hector Daniel Hernandez. Une façon efficace de lever les freins invisibles à la collaboration et de renforcer une ingénierie inclusive et performante. L'expérience de Thales met en lumière une vérité souvent négligée : au-delà des compétences techniques, la performance des organisations internationales repose sur des capacités plus subtiles. Conscience de soi et des autres, adaptabilité, ouverture d'esprit et intelligence relationnelle deviennent des atouts concurrentiels décisifs dans un monde où les frontières s'estompent mais où les identités culturelles demeurent. Pour les responsables formation, cette initiative offre des enseignements précieux. Elle démontre l'importance de traiter les incidents interculturels comme des opportunités d'apprentissage collectif. Elle valide la pertinence d'une approche blended learning progressive. Elle souligne enfin l'intérêt d'outils digitaux permettant de visualiser et d'objectiver les différences culturelles.

À l'heure où de nombreuses entreprises françaises accélèrent leur internationalisation, l'initiative de Thales trace une voie prometteuse. Elle illustre comment transformer les défis de la diversité culturelle en catalyseurs d'innovation et de performance. Une approche qui mérite d'être suivie de près par tous ceux qui cherchent à développer l'intelligence interculturelle de leurs organisations.