Depuis 2022, le sujet de l’IA s’installe durablement dans les entreprises françaises. Si certaines d’entre elles ont déjà engagé des démarches concrètes, beaucoup s’interrogent encore sur les conséquences à venir en matière de gestion des compétences. Pour les responsables de la formation professionnelle, les enjeux sont organisationnels, humains et techniques. Les études récentes, dont celle menée par l’Institut de l’Entreprise et McKinsey, éclairent les transformations en cours et les marges de manœuvre dont disposent les entreprises pour y faire face.
Une dynamique d’expérimentation déjà visible dans certaines entreprises
À Bpifrance, l’appropriation de l’IA générative par les collaborateurs a été encouragée dès 2022. Un cadre a été posé, des webinaires organisés, des ressources mutualisées mises à disposition. Un tiers des collaborateurs a participé aux premiers échanges. Un an plus tard, près de 200 expérimentations avaient été engagées pour tester les usages possibles. Ce déploiement progressif s’est accompagné d’un dialogue avec les partenaires sociaux et d’un travail de coordination entre les fonctions métiers, juridiques et informatiques. Ce retour d’expérience illustre une démarche structurée, qui combine sensibilisation, tests à petite échelle, et intégration progressive des cas d’usage. Il souligne également l’un des principaux défis identifiés par les responsables formation : assurer une montée en compétences qui suive le rythme de ces transformations, dans un cadre sécurisé et aligné sur les besoins métiers.
Des projections d’automatisation à moyen terme
D’après l’étude publiée par l’Institut de l’Entreprise et McKinsey en décembre 2024 (L’IA et l’évolution des compétences en France – Institut de l’Entreprise / McKinsey), le potentiel d’automatisation du travail lié à l’IA générative est significatif. À l’horizon 2030, environ 27 % des tâches aujourd’hui réalisées par les salariés français pourraient être partiellement ou totalement automatisées, un chiffre qui atteint 45 % à l’horizon 2035. Aux États-Unis, ces proportions sont respectivement de 30 % et 48 %. Ce potentiel s’accompagne d’une évolution rapide des métiers. Le rapport estime qu’en France, de 1,2 à 1,7 million de salariés pourraient changer de métier d'ici à 2030, selon le scénario d’adoption considéré. La formation devient alors un levier central pour accompagner ces mobilités et éviter une déconnexion entre les compétences disponibles et les besoins des entreprises.
Un changement dans les compétences recherchées
L’étude identifie trois catégories de compétences en forte progression d'ici à 2030 : les compétences technologiques, les compétences relationnelles et émotionnelles, et les compétences cognitives avancées. Les premières regroupent aussi bien les fondamentaux numériques que les savoir-faire techniques liés à l’IA, à la data ou à l’ingénierie logicielle. Les deux autres correspondent à des aptitudes transversales essentielles à la conduite du changement, à la coopération ou à la résolution de problèmes complexes. En France, 44 % des dirigeants interrogés déclarent rencontrer aujourd’hui des difficultés à recruter sur ces compétences, contre 20 % en moyenne en Europe. L’évolution de la demande ne concerne donc pas uniquement les métiers techniques, mais touche également des fonctions support, des métiers de la santé ou encore le secteur juridique.
Un rythme d’adoption plus mesuré en France
Le rapport met en lumière un rythme d’adoption plus progressif de l’IA en France comparé à d’autres pays européens, notamment ceux du nord, ou aux États-Unis. Cette temporalité, moins rapide, peut néanmoins procurer un avantage aux organisations qui anticipent la montée en compétences de leurs collaborateurs. Elle permet d’expérimenter des dispositifs de formation adaptés, de tester l’efficacité des outils, et de construire des parcours en adéquation avec les besoins opérationnels. L’enjeu pour les directions formation est de concevoir des dispositifs souples, alignés sur les usages métiers, intégrant des formats diversifiés (mentorat, e-learning, formation en situation de travail, partenariats externes), et capables d’évoluer au fil des retours d’expérience.
La requalification interne comme axe privilégié
Les entreprises françaises envisagent de répondre aux transformations induites par l’IA, principalement par la requalification interne. D’après l’enquête McKinsey, 31 % des effectifs actuels pourraient être concernés. Le recrutement externe et l’externalisation complètent cette stratégie mais apparaissent comme des leviers moins immédiats, en particulier en raison de la rareté de certaines compétences et des incertitudes liées à l’intégration de nouveaux talents. Cette priorité donnée à la requalification suppose une ingénierie pédagogique rigoureuse, un effort d’identification des compétences transférables, et une collaboration renforcée avec les managers de proximité. Les responsables formation sont ainsi invités à jouer un rôle central dans l’organisation, en lien étroit avec les directions métiers et RH.
Des dispositifs de formation à repenser dans leur structure
Au-delà des contenus, c’est la nature même de la formation qui évolue. Les dispositifs doivent désormais s’inscrire dans une logique continue, contextuelle, et ancrée dans les situations de travail. L’étude souligne l’importance d’impliquer les directions générales dans l’acculturation technologique, afin de garantir une cohérence stratégique. L’enquête montre également que 70 % des entreprises françaises ont déjà engagé des actions de formation à grande échelle ou prévoient de le faire d'ici à 2030. Ce mouvement reste cependant à consolider, notamment pour permettre une diffusion large et équitable de l’IA dans les différents métiers, tout en assurant une cohésion sociale dans les trajectoires professionnelles.
À suivre…
La rédaction
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