L’époque ne manquant pas de défis majeurs pour la formation (transformation numérique, environnementale, crise sanitaire…), la concurrence de nouveaux acteurs et solutions numériques s’intensifiant, les départements L&D (Learning & Development) opèrent un virage stratégique : leur proposition de valeur passera par la mise en place d’une nouvelle fonction incontournable : les architectes de parcours de formation multimodaux.
Avènement de l’ère numérique : les savoirs ubiquistes
Généralisation du numérique, nouveaux acteurs spécialisés dans la production de contenus pédagogiques numériques, opportunités inouïes soutenues par la digitalisation toujours plus variée des savoirs, accessibilité mondialisée pour toute organisation ou individu avide d’apprendre… Dans ce nouveau paysage de la formation, il y a pléthore de contenus et de solutions ; tous les goûts sont servis, pour tous les budgets. Voir les MOOC, même s’ils ont perdu un peu de leur superbe : « faire moins, mais mieux » est leur nouveau mot d’ordre. Parce que quantité et qualité sont loin de rimer. D’où la question posée à l’apprenant : comment s'y retrouver dans pareil océan de savoirs (comment distinguer le bon grain de l’ivraie ?) L’IA aggrave ce phénomène, en déployant à grande échelle les contenus qu’elle permet de générer, initialement réduits au texte et à l’image, aujourd’hui étendus à la vidéo. Apparaissent alors ceux que je qualifierai de « compilateurs des temps modernes », en écho à ceux du Moyen Âge déjà dépassés (on le sait moins) par les productions livresques de l’humanité. Ces compilateurs accompagnent le développement d’un nouveau métier promis à un bel avenir, le curateur et l’agrégateur de contenus. Les deux mobilisent leur esprit critique pour estimer la qualité des contenus digitaux de formation afin d’aider les apprenants à identifier ce qui convient le mieux à leurs besoins d’apprentissage.
Changement de paradigme dans les entreprises : les nouveaux producteurs de savoirs
Cette tendance explique aussi que le temps des grandes librairies de contenus sur étagère semble révolu dans le monde de l’entreprise où les conditions ont, en effet, changé : le « contenu haut de gamme » n’a plus vraiment le vent en poupe, défavorablement « benchmarké » sur les critères d’impact, d’obsolescence et de rapport « qualité-prix ». Dans certaines entreprises, ce sont moins de 5 % des salariés, certes très motivés, et souvent les mêmes, qui consomment ces ressources (tout du moins s’agissant des MOOC). Pire encore du taux de complétion des parcours de formation attachés à ces librairies, le département L&D ignorant comment les « marketer » tout au long de l’année, faute d’expertise ou de ressources… D’ailleurs, est-ce seulement faisable pour des centaines, voire des milliers de contenus ? À cela s’ajoutent les contraintes de compétitivité et de juste-à-temps imposées au business : l’approche du « haut de gamme », consistant à investir annuellement des dizaines ou des centaines de milliers d’euros dans de grandes librairies sur étagère, comme on l’observait pré-crise sanitaire, a du plomb dans l’aile. C’est pourquoi nombre de départements L&D ont internalisé la production de leurs contenus pédagogiques numériques, en visant à autonomiser et à professionnaliser les experts internes engagés dans la création et la transmission des savoirs. Ces stratégies sont le plus souvent associées au développement de « Learning Factories » dotées d’outils auteurs et de diverses solutions numériques (e-learning, vidéo, podcasts, apprentissages immersifs, réalité virtuelle, agents conversationnels…) soigneusement sélectionnés.
Nouvelle proposition de valeur de la L&D : les architectes de parcours de formation multimodaux
Pour lutter contre le risque de désintermédiation — opportunistes, les apprenants ont plus que jamais le choix de leur fournisseur, libérsé d’un temps où ils étaient « captifs » dans la salle de cours — le département L&D ne serait-il plus qu’un « producteur » parmi d’autres ? Pourrait-il se replacer au centre du jeu en centralisant tout ce qui ressort de la production des contenus, ou bien en devenant « l’agrégateur en chef » ? Mais, il sera alors délicat de servir tout le monde, tandis que croissent les contraintes financières. Donc, accompagner, dans une approche décentralisée, les producteurs de savoirs ? Cette voie est certes prometteuse. Dans les deux cas, il faudra répondre au besoin grandissant, qui ouvre de belles perspectives de repositionnement aux professionnels de formation, de conception et de déploiement de parcours de formation multimodaux combinant les approches, formats et ressources de formation, digitaux ou non, les plus variés, dès lors qu’ils répondent intelligemment à une problématique de compétence. Ces parcours, qui traduisent un besoin opérationnel en objectifs et contenus pédagogiques, requièrent une nouvelle expertise ainsi que la capacité d’un va-et-vient permanent entre, d’une part, compréhension et vision générale d’un côté (le « Tout ») et, d’autre part, construction et agencement intelligents (les « parties). Au fait de l’andragogie et des avancées des neurosciences, l’architecte de parcours de formation multimodaux se joue du synchrone et de l’asynchrone, du face-à-face (présentiel) et du distanciel, du formel et de l'informel, pour créer une expérience apprenante, un voyage d’apprentissage unique, innovant et impactant faisant en écho aux géographies et temporalités traversées. Ce parcours est aligné sur un jeu d’objectifs prédéfinis (« quoi » prévaut sur « comment »), il génère du sens propice à l’engagement des apprenants. Contextualisé à l’entreprise, il parle « son langage » ce qui de fait lui donne un avantage différentiel immédiat.
Les compétences clés d’un nouveau métier de formation stratégique
L’architecte de parcours multimodaux collabore étroitement avec les experts métier afin d’identifier précisément les attentes réelles des apprenants et d’assurer ainsi la pertinence des contenus proposés. Il élabore des parcours personnalisés construits à partir de personas réalistes, en intégrant habilement différentes modalités pédagogiques : e-learning, classe virtuelle, présentiel, social learning ou mobile learning. Il conçoit également les évaluations nécessaires pour mesurer les acquis et assurer un suivi efficace après la formation. Son approche pédagogique privilégie des modèles éprouvés comme le 70-20-10, ainsi que l’apprentissage actif et collaboratif, tout en intégrant des éléments tels que le jeu, les challenges ou le storytelling, afin de renforcer l’engagement des apprenants. Spécialiste des outils numériques, il exploite pleinement les possibilités des plateformes LMS et LXP, ce qui lui permet notamment de mesurer concrètement l’impact de ses parcours grâce à des indicateurs clairs tels que l’engagement, la rétention et l’application concrète des acquis. Enfin, il assure une veille pédagogique constante sur les dernières innovations du marché pour rester en prise directe avec l’évolution rapide du secteur.
On l’aura compris : ce nouveau métier est stratégique pour tout département de L&D désireux de se repositionner en centre d’expertise reconnu dans le domaine de la pédagogie et plus encore en « Business Partner » au sein de son entreprise. Soutenu (et non remplacé) par les IA génératives, l’architecte de parcours de formation multimodaux, dans une double perspective « la tête dans les nuages et les pieds dans la glaise », est un stratège de l’apprentissage dans l’entreprise (compréhension du contexte et de la maturité incluse), générateur de sens, capable de concevoir des expériences de formation plurielles, cohérentes, collectives, efficaces et engageantes, en « combinant » intelligemment ingénierie pédagogique (contenus et approches pédagogiques variés), technologies digitales et approche par compétences.
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