L’organisation apprenante n’est pas un concept abstrait, mais une nécessité stratégique. Pourtant, son déploiement au sein des organisations demeure un défi, notamment pour les collaborateurs de terrain. Lors d’une récente conférence (Learning Technologies), Jean-Roch Houllier (Head of Operations, Learning & Digital, Safran), Florent Grisaud (Head of Learning), Frédéric Dutertre (Responsable Développement Professionnel et Compétences Managériales, Crédit Agricole) et Romain Etay (Co-Fondateur - Klara) ont échangé sur la manière dont les entreprises peuvent structurer l’apprentissage au plus près des opérations.
L’apprentissage terrain : levier clé mais sous-exploité
Malgré la reconnaissance de la formation en situation de travail (AFEST) en 2018, la formation demeure perçue comme une charge supplémentaire, plutôt que comme un facteur intrinsèque de performance.
Les collaborateurs de première ligne – techniciens, opérateurs – sont souvent les grands oubliés des dispositifs de formation classiques. Néanmoins, ce sont les mieux placés pour identifier les besoins, expérimenter des solutions et transmettre les savoir-faire indispensables à la maîtrise du poste. Comme le souligne Jean-Roch Houllier (Safran), il faut dépasser les discours classiques sur le « terrain » pour inscrire durablement l’apprentissage au cœur même des pratiques de l’entreprise, et non comme un objectif isolé, mais comme la conséquence naturelle d’une organisation tournée vers la performance collective. Il résume son propos : « Le jour où l’on n’aura plus besoin de distinguer le “terrain” du reste, c’est qu’on aura réussi à faire de l’apprentissage un mouvement naturel, intégré et moteur de performance. »
Transformer la culture de l'apprentissage par l'action et le digital
Accélérer la montée en compétences des opérateurs et techniciens n’est plus un luxe ; c’est une nécessité stratégique pour garantir la performance et la continuité opérationnelle. Comme le souligne Florent Grisaud, on ne peut se contenter de digitaliser des modules de formation, car il s’agit de structurer durablement la transmission des savoir-faire critiques, en développant une véritable culture du tutorat et du partage. Pour lui, « L’excellence opérationnelle passe par une culture du tutorat forte : capter, transmettre et ancrer les savoir-faire, c’est là que se joue la différence. »
La captation des expertises terrain permet l’avénement de l’organisation apprenante comme levier d’excellence : réduire le « time to skills », sécuriser les savoirs clés et limiter le risque de perte de compétences critiques. Une approche qui repose sur trois piliers essentiels : la cartographie complète et détaillée des compétences pour une transmission efficace des savoirs clés ; la digitalisation du suivi et des échanges entre managers, tuteurs et collaborateurs au fil des parcours de montée en compétences ; l’approche phygitale, qui associe formation présentielle sur le terrain et suivi digital adapté aux réalités opérationnelles. L’enjeu ? Transformer chaque situation de travail en opportunité d’apprentissage, au service d’une montée en compétences rapide et durable.
Mesurer pour valoriser l'apprentissage terrain
Un dispositif de formation doit se juger à sa capacité à impacter réellement l'activité (le taux de complétion ne suffit plus). Une question essentielle demeure donc : comment l’apprentissage peut-il concrètement transformer l’activité ? Pour Frédéric Dutertre (Crédit Agricole), avant d’être un enjeu RH, c’est une question de culture d’entreprise, intimement liée à la performance collective et à l’efficacité opérationnelle : « Ce n’est pas aux RH de porter seuls l’organisation apprenante : c’est à toute l’entreprise de cultiver cette dynamique, car elle conditionne sa performance. » C’est à cette condition que l’organisation apprenante dépassera le simple cadre formel et viendra irriguer l’ensemble des pratiques métiers : en s’appuyant sur des indicateurs centrés sur l’impact opérationnel, pour mesurer l’amélioration des gestes, des processus et, finalement, des résultats sur le terrain ; en s'appuyant également sur une dynamique d'apprentissage collaboratif pour structurer la transmission des savoirs, et sur le suivi rigoureux et itératif de la transmission des compétences pour mieux anticiper les éventuelles pertes de savoir-faire. Ce changement d’approche permet de sécuriser les compétences clés et d’inscrire durablement la montée en compétences comme un levier stratégique au service de l’activité et de la performance globale.
Construire une organisation apprenante ancrée dans la réalité opérationnelle
Autre enjeu, fondamental, mis en évidence dans la conférence : l’organisation apprenante n’est pas une finalité abstraite ou uniquement RH, elle est un levier concret de performance globale et durable. C’est le constat fait par Romain Etay (Klara) : si cette approche inquiète parfois, c’est parce qu’elle est souvent perçue, à tort, comme une mécanique de productivité supplémentaire. Alors que c’est l’inverse ! Il s'agit de valoriser l’expertise terrain en donnant aux opérationnels les clés pour structurer, transmettre et s’approprier eux-mêmes leur savoir-faire. Pour lui, « Ce qui transforme vraiment une organisation, c’est d'offrir aux opérationnels les moyens de structurer et de partager leurs savoirs, et non de leur imposer des processus venus d’en haut. »
En créant cette dynamique collective, le terrain devient acteur de sa progression, et sa collaboration avec les fonctions support gagne en fluidité et en sens. L’apprentissage devient alors un moteur d'efficacité opérationnelle, mais surtout un pilier de reconnaissance et de montée en compétences durables. Favoriser cette connexion forte entre performance et apprentissage, c’est poser les bases d'une culture apprenante et garantir que chaque collaborateur soit un acteur clé du succès collectif.
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