Une question souvent difficile adressée aux départements L&D par le business et les opérationnels : « so what ? » (à quoi aura finalement servi la formation). Démontrer l’impact (réel) d’une formation suscite toujours le débat, quand bien même celle-ci a fortement muté dans toutes ses composantes (digital inclus). Cependant, grâce aux « indicateurs d’opérationnalité », une nouvelle perspective s’offre aux départements formation et RH.
Évaluer la formation : à la recherche du serpent de mer ?
Un sujet qui revient sans cesse : quel est réellement l’impact de la formation, sur les individus et, plus largement, sur les organisations et le Business ? D’indicateurs en indicateurs, le débat fait rage de longue date entre les tenants du ROE (Return On Expectations, retour sur les attentes) et ceux du ROI (Return On Investment, rentabilité des investissements), entre évaluation de la satisfaction des apprenants, des apprentissages, des comportements, puis de l’impact sur la performance opérationnelle de l’entreprise qui ont inspiré les niveaux du modèle de Kirkpatrick. Évaluation à « chaud » puis à « froid » : ces deux piliers, qui suffisent à contenter la plupart des départements L&D, permettent de donner le change aux organismes de certification tels que Qualiopi.
Triple constat. D’abord, la mesure (réelle) de l’évaluation (en particulier celle de la mise en pratique) n’est guère prioritaire, comme le montre, année après année, le concours des Trophées du Digital Learning by Féfaur : la catégorie « mise en pratique » est le plus souvent délaissée au profit d’autres, comme l’innovation, apparemment plus séduisantes de prime abord. Ensuite, le problème consiste à « brancher » finement la « posologie » au « diagnostic » et de l’indexer sur l’impact et la performance attendue. Que la formation soit d'ordinaire exprimée en objectifs pédagogiques, ne facilite pas la « jonction » avec le besoin opérationnel. Enfin, comment s’assurer de la « preuve », par exemple, sur une cohorte de douze chefs de projet s’étant initiés à la conduite de projet dans un centre de formation, et aussitôt repartis dans leurs entreprises (chacune d’elles présentant un contexte spécifique d’application des apprentissages ?) ; affaire d’autant plus complexe, que dans un schéma de déploiement classique, la formation est le plus souvent un levier (et une causalité) parmi d’autres. Pour résumer, peu ont réellement démontré cette jonction, tandis que des modèles fondés sur l’organisation orientée performance (tels que celui de Charles Jennings) restent en marge des principaux usages, au moins dans les entreprises françaises.
La formation augmentée : compétences, personnalisation et contextualisation
Trois composantes doivent être examinées par qui veut avancer vers une meilleure mesure de l’impact. La première s’intéresse à l’intégration compétences x formation (confère l’avénement des organisations « skill based »). Articuler formations et compétences présente de nombreux avantages, à commencer par l’implication renforcée des salariés dans le développement de leurs compétences des salariés (« je m’évalue, puis je me développe à partir de recommandations de formation adéquates ») et plus largement dans leur mobilité x employabilité (« je peux évoluer de l’emploi « A » à l’emploi « B » en développant progressivement les compétences requises »). C’est déjà une révolution que ce changement de perspective : d’une approche « pédagogique » à une perspective « compétences ».
Autre composante, la personnalisation des apprentissages, fortement favorisée par la digitalisation des formations, opère un lien plus étroit entre le « diagnostic » et la « posologie » dans une approche au « cas par cas ». Par exemple, un parcours Digital Learning sur le LMS (Learning Management System) proposera des modules de formation ciblés en fonction du positionnement de l’apprenant identifié par le test préalable de son niveau de maîtrise initial. Autre exemple, en cours ou en fin de parcours, l’activation d’un module d’ancrage mémoriel considèrera le niveau d’acquisition et de maîtrise progressives des connaissances (ancrage mémoriel) ou des comportements (ancrage comportemental) à mettre en œuvre.
Dernière composante : la contextualisation, désormais puissamment outillée par l’IA générative, procure une opportunité sans précédent aux départements L&D : rapprocher plus étroitement leurs parcours de formation avec les besoins du terrain. Illustration, parmi nombre d’applications récentes, les conversations simuléesd’entrainement : inscrit sur un parcours managérial, un apprenant s’entraine avec un collaborateur (« joué par une IA ») ayant des difficultés à hiérarchiser ses priorités : la conversation met en musique les apports théoriques préalables (utilisation éventuelle d’un module traditionnel d'e-learning) dans une situation simulant la réalité et débouchant, pour l’apprenant, sur un bilan de compétences (on tentera l’analogie du Narthex des cathédrales qui assure la transition entre l’extérieur et l’intérieur : ici, on parlera d’un « sas d’entrainement » préalable à la pratique sur le terrain).
La formation connectée au travail : changement de perspective en vue !
Mais, ce que nous apprennent des années de pratique, parfois exercée sur le déploiement de projets emblématiques (à l’instar de la digitalisation de l’action de formation tutorale ?), c’est que la mesure de l’impact est avant tout affaire de perspective, sinon de posture. « Engoncés » depuis longtemps dans une approche RH de la formation, les professionnels de formation se sont le plus souvent concentrés sur des indicateurs adhoc (nombre d’heures de formation par apprenant, « net promoter score » d’une formation, « mix » digital/présentiel, etc.) ; des indicateurs qu’il importe de bien maîtriser, certes, notamment pour respecter les engagements pris auprès de diverses institutions et dans le cadre d’accords variés ; mais ces indicateurs disent moins la finalité (besoin initial exprimé par les opérationnels) que le « comment ». C’est en investissant sur les apprentissages en situation de travail des « cols bleus » que nous en avons pris conscience : nos projets (et indicateurs habituels) devraient dorénavant passer au second plan pour laisser la priorité au développement d’un langage propre à une compréhension mutuelle : les « indicateurs d’opérationnalité », tirés par le besoin. Ces indicateurs (par exemple, le « Time to Autonomy » délai d’autonomisation des apprenants) sont connectés au besoin réel des opérationnels, quand les autres en constituent une sorte de « corollaire » : en déployant la digitalisation et l’optimisation de l’action de formation tutorale sur les lignes de production de nos usines, nous avons fait un pas vers « l’entreprise apprenante » en mobilisant des cohortes de tuteurs engagés dans la transmission des savoirs. Vertus : passer d’une approche perçue comme « théorique » (boudée par les opérationnels) à une approche concrète, pragmatique et mesurable ; imbriquer la formation dans le travail dans un aller-retour régulier « apprendre et pratiquer » et répondre enfin à l’antienne « je n’ai pas le temps ». Last but not least, : renforcer et développer le statut de « Business Partner » des départements L&D, première condition de leur crédibilité et durabilité au sein de l’entreprise ! Cette forte connexion de la formation au travail (et aux socles de compétences associés aux métiers) est, par excellence, l’approche qui permettra de réconcilier formation et performance.
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