La démultiplication des sources d’apprentissage, digital inclus, s’est progressivement soldée par la difficulté grandissante d’attirer et d’engager durablement les apprenants. Ce constat fait par les départements L&D vaut tout particulièrement pour les contenus numériques, « le trop-plein » de grandes librairies rimant souvent avec découragement et désintérêt. De l’urgence de marketer l’offre de formation digitale… en remettant à l’honneur la notion d’événement.
Avènement de l’ère digitale : nouvel espace d’opportunités pour les apprenants
Le temps de l’apprenant captif en salle de classe est certainement révolu. Tentés, à titre professionnel ou personnel, par une quantité quasi illimitée de ressources de formation de formats variés, les apprenants sont aujourd’hui plus opportunistes que jamais. Les départements L&D sont concurrencés par ce que j’ai déjà qualifié de savoirs ubiquistes. Leur mission s’enrichit de nouvelles dimensions : le sens et l’intention d’abord, portés par des parcours de formation « parlant le langage de l’entreprise » (cohérents avec sa stratégie, ses enjeux et les besoins de ses métiers) ; la personnalisation ensuite, avec une formation collant au plus près aux besoins de l’apprenant, idéalement fondée sur un auto-positionnement préalable, une adaptation des contenus et une multimodalité incarnée par une combinaison alliant le meilleur du présentiel et du distanciel ; la compétence enfin, avec une relation renforcée entre socles de compétences et parcours de formation (les apprentissages en situation de travail en sont une bonne illustration). Sens, intention, personnalisation, lien avec la stratégie de compétences : le département L&D devient un levier stratégique pour maintenir ou développer les compétences et l’employabilité des apprenants.
Le temps des grandes librairies de contenus digitaux ? Révolu
L’intentionnalité, qui s’incarne dans des parcours de formation complexes, peut se heurter au « principe de masse » illustré depuis le début des années 2000 par les grandes librairies de contenus pédagogiques numériques déployées sur les Learning Management System (LMS) de première génération. Une difficulté notée, en filigrane, par Josh Bersin (États-Unis) qui préconise de distinguer « micro » (« nuggets de formation ») et « macro » (parcours de formation). Par ailleurs, la crise sanitaire (et son cortège d’évolutions pédagogiques et technologiques) a pesé sur les moyens disponibles : le temps de ces grandes librairies est compté, faute qu’elles aient démontré un réel impact, par exemple, quand 5 % seulement des salariés s’y intéressent, et qu’elles sont complètement ignorées des autres ! En parallèle, on a vu apparaître et se renforcer, d’une part, l’internalisation de la production des contenus via des outils auteurs accessibles aux experts en entreprise, et, d’autre part, l’agrégation de contenus de sources et de formats variés. Démocratisation de la création et de la transmission de savoirs, donc, et curation de savoirs ubiquistes, disponibles en libre accès sur Internet ou via des librairies partenaires de ces nouveaux agrégateurs.
Un nouveau marketing s’impose
Résumons : une entreprise qui met à disposition de ses collaborateurs un « trop-plein » de contenus pédagogiques numériques, de façon permanente, n’a aucune garantie que ces formations auront l’impact souhaité, ni que le rapport qualité-prix sera satisfaisant ! Devant ce piètre résultat, les fournisseurs de grandes librairies mettaient souvent en cause le département L&D… pour l’insuffisance de son marketing de l’offre formation. Certes, le marketing est fort consommateur de temps et de moyens ; il suppose aussi qu’on fasse le tri dans ce qu’il faut communiquer dans un telle masse de contenus. « Less is more » (clin d’œil : c’est un principe que les doctorants en quête de différenciation finissent toujours par découvrir à leurs dépens dans la production de leur thèse) : ce principe doit désormais s’appliquer aux contenus de formation. Notamment via la formation « événementialisée », un peu à la manière des dynamiques Netflix ou Canal+ (notion de « chaîne »). L’approche consiste, sur une durée relativement courte (par exemple, 3 mois), à déployer et marketer un espace où seront logées les formations numériques provenant de plusieurs partenaires.
Dans le détail
Sens et intention s’exprimeront dans la thématique d’entreprise (épine dorsale de l’événement), préalablement agrée par toutes les parties prenantes (exemples de thématiques : « La saison de l’entreprise apprenante », « Les futures compétences des ressources humaines », « L’IA au service de la formation », etc.). L’espace de formation (« Learning Channel ») est spécifiquement bâti pour l’évènement, avec un design original et décalé, dans la plateforme digitale de l’entreprise. Ouvert à tous, ou réservé à une population restreinte (« chaîne cryptée »). Les contenus y sont organisés pour que l’apprenant puisse aisément s’y retrouver et que la cohérence générale préside à l’ensemble des contenus. L’entreprise « donne le ton et personnalise le discours » en donnant la parole au sponsor du projet en début de campagne événementielle et en ajoutant éventuellement ses propres contenus. La collaboration est encouragée, elle s’exprime dans le flux social de l’espace de formation avec les contributions et remarques variées des apprenants (ce point est crucial pour favoriser la bidirectionnalité des échanges (par opposition à une approche exclusivement « top-down ») ainsi que l’engagement durable des apprenants. Enfin, le tempo est assuré par un plan de communication réfléchi, qui couvre toues les phases (« avant, pendant et après ») de l’événement, avec une ligne éditoriale qui prend en compte le nécessaire renouvellement des contenus (condition du taux de rebond). Il s’agit de la clé de voute de la démarche qui va requérir un savoir-faire tout particulier.
Bénéfices de l’approche
Premier bénéfice de cette approche : le surcroît d’engagement des apprenants obtenu par le surgissement d’un événement et de contenus d’exception au bon moment et en cohérence avec la ligne éditoriale de l’entreprise. Un sentiment de rareté rend ces contenus désirables, car la limite de temps est annoncée dès le départ (« tant pis pour vous, si vous ratez la fenêtre de tir ! »). Les efforts du département L&D sont optimisés par le choix d’une communication intense dans un délai contraint ; le délai d’abonnement aux contenus, lui aussi réduit, constitue également une source d’économie non négligeable ! Pour réussir dans cette nouvelle approche, le département L&D pourra s’appuyer sur de nouvelles fonctions. D’abord, un responsable du marketing de l’offre capable de construire un solide plan de communication en articulant ses divers fournisseurs internes (la direction de la communication, par exemple) et externes (les partenaires de contenus) ; impossible de se rater parce que, si le département L&D économise ses ressources financières et humaines en se focalisant sur une durée limitée, il ne peut en aucun cas « rater le coche » de l’événement ! Notons au passage qu’un partenaire bien organisé pourrait disposer de ses propres modèles de communication, qui pourront inspirer ceux du maître d’œuvre. Autres fonctions clés : le designer ou architecte de l’espace de formation, qui doit pouvoir coder en HTLM ; le chef de projet pour coordonner le tout et animer les autres parties prenantes, garant de l’intention (cohérence avec l’entreprise et formalisation préalable des indicateurs de succès) et de la qualité et pertinence des contenus proposés (curation avec le ou les partenaires de l’événement).
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