Pénurie de talents, anticipation des mutations technologiques : cette double urgence entraîne un nombre croissant d'entreprises françaises à mettre les compétences au cœur de leur stratégie. Bien plus qu’un effet de mode, l’avènement des « skills-based organizations » transforme en profondeur les rôles, les carrières et les modèles de formation. Une révolution silencieuse qui pourrait bien redéfinir la place du département formation et bousculer les pratiques managériales.
Bénéfices d’une organisation « skills based » pour l’entreprise et pour ses collaborateurs… Une organisation « skills based » place les compétences au cœur de sa structure et de sa gestion des talents. Contrairement aux modèles traditionnels axés sur les postes et les titres, ce modèle valorise les aptitudes réelles des employés, indépendamment de leurs diplômes ou de leur expérience formelle. L’objectif : créer une organisation plus agile, capable de s’adapter rapidement aux évolutions du marché en mobilisant les compétences disponibles en interne. L’entreprise y gagne en flexibilité organisationnelle et en capacité à répondre aux besoins changeants du marché. Les collaborateurs, quant à eux, bénéficient d’une reconnaissance de leurs compétences spécifiques, favorisant leur mobilité interne et leur développement professionnel. De l'importance croissante des compétences dans le paysage professionnel actuel : 70 % des leaders estiment que la pénurie de talents contraindra leur organisation à être créative en recherchant davantage de compétences plutôt qu’une expérience professionnelle traditionnelle (source : Deloitte).
Le rôle du département formation dans une organisation « skills based »… Dans une telle organisation, le rôle du département formation s’exerce bien au-delà de sa fonction traditionnelle de dispense de formations. Répondre à des demandes ponctuelles, certes, mais surtout anticiper les besoins en compétences de l’entreprise, accompagner les transitions métiers et privilégier une véritable agilité organisationnelle. Le département formation devient alors un véritable architecte des compétences ; il collabore étroitement avec les responsables métiers et les RH pour identifier les compétences critiques et concevoir des parcours d’apprentissage personnalisés. Ses perspectives sont significatives. D’abord, il accroît sa visibilité auprès de la direction, comme levier stratégique au service des enjeux de performance, d’innovation et de compétitivité ; en démontrant sa capacité à aligner les programmes de formation sur les priorités business, il s’affirme comme un partenaire indispensable dans la mise en œuvre des grandes orientations de l’entreprise. Ce positionnement peut également se traduire par une meilleure reconnaissance dans l’organigramme, avec une place renforcée au sein des instances décisionnelles et une proximité accrue avec la direction générale. Par ailleurs, le département formation peut directement influencer les trajectoires de carrière des collaborateurs et renforcer l’attractivité interne de l’entreprise en les accompagnant dans le développement de leurs compétences et en facilitant leur mobilité interne. Engagement, fidélisation des talents : on sait ces enjeux cruciaux dans les tensions du marché de l’emploi.
Compétences requises pour les professionnels de la formation… Encore faut-il que les professionnels de formation soienr dotés des compétences techniques (maîtrise des outils numériques, plateformes d’apprentissage, skills management systems permettant de cartographier les compétences clés dans les métiers de l’organisation…) et comportementales approfondies, directement alignées sur les besoins spécifiques de l’entreprise. Une bonne compréhension des métiers de l’entreprise est tout aussi indispensable, notamment la connaissance des compétences spécifiques aux postes, des évolutions technologiques dans les secteurs concernés et des tendances du marché. Les professionnels de formation doivent aussi être capables d’analyser les données pour identifier les écarts entre les compétences existantes et celles nécessaires à court et moyen terme. Au plan comportemental, ils doivent être en mesure d’instaurer un dialogue constructif avec les responsables métiers, de promouvoir une culture d’apprentissage, d’être assez agiles pour ajuster rapidement les offres de formation aux mutations de l’entreprise ou de son marché. Ce rôle proactif et stratégique s’inscrit donc dans le concept plus large de « business oriented learning department » qui aligne ses actions sur les objectifs business.
L’état des lieux en France… En France, l’adoption des organisations « skills based » émerge tout juste, mais elle suscite un intérêt croissant, notamment parmi les grandes entreprises. Si une douzaine d’entreprises du CAC 40 (dont L’Oréal ou Schneider Electric) affirment avoir amorcé une transition vers ce modèle à travers, par exemple, des initiatives autour de la cartographie des compétences et des parcours de formation adaptés pour répondre à leurs besoins stratégiques, cette approche est aussi accessible aux ETI et aux PME. Même si celles-ci ne disposent pas toujours d’un département formation étoffé, elles peuvent s'appuyer sur les solutions de formation en ligne qui facilitent l’accès à des ressources autrefois réservées aux grandes structures ; des PME dans le secteur industriel, pour ne prendre que cet exemple, ont commencé d'utiliser des plateformes collaboratives pour identifier les compétences critiques et former leurs collaborateurs sur des compétences techniques spécifiques, comme la maîtrise de nouvelles technologies de production. Résultat : 60 % des entreprises françaises, tous secteurs confondus, reconnaissent l’importance de structurer leur gestion des compétences pour répondre aux enjeux futurs (source : Neobrain). De nombreux freins demeurent, certes, en particulier dans les PME (manque de temps, de ressources, absence d’une culture apprenante…), mais l’adoption d’une approche « skills based » peut être une opportunité de rationaliser les investissements en formation et de maximiser leur impact. Car la transition vers un modèle « skills based » repose avant tout sur une volonté de placer les compétences au centre de la stratégie.
Roadmap pour le département formation… Engager l’entreprise sur la voie d’une organisation « skills based » requiert des actions concrètes et ciblées. La première étape consiste à établir une cartographie des compétences existantes : identification des compétences clés actuellement maîtrisées dans l’entreprise, ainsi que celles qui seront essentielles à court et moyen terme. Ce diagnostic initial peut être mené avec les responsables métiers grâce à des outils numériques de gestion des compétences ou, de manière plus simple, à travers des ateliers collaboratifs. Ensuite, il est indispensable de mettre en place des programmes de formation pilotes (par exemple, sur un métier stratégique ou un secteur en tension) pour tester l’identification des écarts de compétences et les dispositifs de formation correspondants. Exemple, preuve d’impact tangible : la formation des équipes commerciales à l’utilisation d’un nouvel outil CRM ou l’accompagnement des techniciens sur des certifications liées à des évolutions technologiques. Peuvent également être proposés des parcours d’apprentissage individualisés, s’appuyant sur des plateformes de microlearning ou de MOOC, qui permettent d’adapter les contenus aux besoins spécifiques de chaque collaborateur. En outre, la valorisation des compétences acquises via des badges numériques ou des certifications internes ne peut pas faire de mal ! Enfin, ne pas oublier la communication : il est nécessaire de sensibiliser les managers et les collaborateurs à l’importance de cette approche « skills based » pour embarquer toute l’organisation. Organiser des workshops, diffuser des success stories issues des programmes pilotes ou mettre en avant les bénéfices concrets pour les salariés et l’entreprise sont autant de moyens de susciter l’adhésion. Ces premières actions, même modestes, permettent d’enclencher une dynamique progressive vers une organisation centrée sur les compétences, tout en consolidant la légitimité stratégique du département formation.
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