Impact (et qualité) des formations… Pour les départements Learning & Development (L&D), le sujet est prioritaire. Face à la pression croissante des opérationnels qui attendent des résultats tangibles et mesurables, comment la formation peut-elle démontrer son rôle dans l’amélioration des performances en entreprise ? Jean-Roch Houllier (Safran) et Xavier Voilquin (Medtronic) explorent les défis et les évolutions nécessaires pour transformer la formation en un véritable levier de performance, intégrant l'analyse d'impact et la contextualisation des compétences. Entre personnalisation, digitalisation et « data literacy », cette évolution des indicateurs ouvre la voie à une nouvelle relation entre la formation, le business et la gestion des talents.
De la qualité à l’impact : comment les départements L&D peuvent-ils dépasser le « so what » ?
Jean-Roch Houllier : Quel département L&D n’a pas déjà été challengé par le business et les opérationnels en matière d’impact de ses formations ? La question du « so what ? » de salariés de retour sur le terrain, parce qu’ils ont rapidement oublié l’essentiel des enseignements dispensés, n’est sans doute pas étrangère à l’image qu’en ont parfois les managers : la formation perçue comme « coût » plutôt que comme un « investissement » utile et durable.
Processus d’évaluation et amélioration continue sont pourtant bien de la partie (d’autant plus avec Qualiopi), mais le plus souvent cantonnés aux évaluations à « chaud » et à « froid », une traduction « quali » inspirée du modèle Kirkpatrick. Les niveaux les plus élevés de ce modèle ont beau porter sur « la mesure de la mise en œuvre des comportements en situation de travail » et sur « l’impact de la formation sur la performance de l’entreprise », cette mesure reste malaisée, notamment parce que les finalités s’expriment le plus souvent sous la forme d’objectifs de formation (taxonomie Bloom). Le lien avec les objectifs stratégiques ou opérationnels (la performance, au sens large, attendue des collaborateurs et des métiers) est beaucoup plus rare. Admettons toutefois la relation « cause (formation) — effet (performance) » est rendue complexe par des facteurs hors formation qui interviennent dans la performance.
Pour démontrer son impact, la formation doit se « connecter » continument au travail et aux compétences (dont la nécessité est mise en évidence par l’analyse préalable du travail), autrement dit : contextualiser les apprentissages, voire intégrer des composantes en situation de travail (AFEST). D’un point de vue pédagogique, le pilotage « bout-en-bout » d’un socle de compétences permet de mesurer concrètement la progression de l’apprenant jusqu’à son autonomie totale ; d’un point de vue opérationnel, les indicateurs « RH » usités (par exemple, le nombre d’heures de formation) sont complétés par des « indicateurs d’opérationnalité » (entre autres, le « Time To Autonomy », i.e le temps nécessaire pour rendre l’apprenant opérationnel sur la ligne de production). Un langage qui, de toute évidence, parle davantage aux opérationnels et ouvre la voie de la réconciliation entre formation et performance !
S’intéresser à l’impact : la formation réconciliée avec les compétences et le business ?
Xavier Voilquin : Historiquement, le cœur du métier L&D a été le contenu. « Content is king » ai-je encore entendu l’année passée de la bouche d’un business leader expérimenté de Medtronic. Mais, avec l’accélération du recours à la Data, avec d’un côté l’IA qui ouvre d’ores et déjà des perspectives prometteuses au développement et à la délivrance de contenus, et de l’autre les systèmes toujours plus interconnectés (à l’image de SIRH connectés à Salesforce lui-même connecté aux LMS et autres LXP), les mesures d’impact seront de plus en plus faciles à produire. Or, ces mesures peuvent également servir à attester de certaines compétences du salarié. Avant les mesures d’impact, on se fiait aux objectifs d’apprentissage à priori ; à posteriori, on mesurait la qualité de la formation dont on déduisait (un exercice hautement aléatoire) l’acquisition de la compétence recherchée. Mais la compétence n’est pas juste la connaissance, elle consiste aussi en la mobilisation de celle-ci. Avec la mesure d’impact, l’acquisition de la compétence (connaissance et mobilisation) ne s’espère plus, elle se démontre. Parce qu’elle existe, elle réconcilie l’apprenant avec la formation. La formation n’est plus une case à cocher, l’interstice d’un simple « moment sympa », mais un réel accélérateur de carrière (voire, pourquoi pas ? de bonheur) dans l’entreprise, la satisfaction personnelle de développer ses compétences et de les utiliser.
La tendance aux mesures d’impact… quel impact sur les Directions learning & development ?
Jean-Roch Houllier : Ce changement de perspective (de la simple mesure de la qualité, autocentrée formation, à celle d’un impact de la formation concret et constaté, au plus près du travail) requiert une reconfiguration des départements de formation. D’abord, le but visé est celui d’une meilleure contextualisation x personnalisation des apprentissages, ce qui suppose de considérer les « persona ». Depuis l’avènement de l’ère digitale et plus encore après le « Big Bang » de l’IA générative, les départements formations sont incités à développer continument leurs compétences dans tous les domaines du digital (réalité virtuelle, IA générative incluses). Les agents conversationnels sont particulièrement prometteurs dans la simulation réaliste de situations « terrain ». L’acquisition de compétences associées aux apprentissages en situation de travail contribue à étendre le périmètre d’intervention des départements formation : entrée sur les « territoires du 70 » (modèle 70/20/20 : 70 % de ce que nous apprenons, nous l’apprenons en situation de travail, 20 % avec les autres et 10 % en formation structurée), développement de leur expertise business et des opérations. Un ou deux membres du département peuvent se certifier en AFEST et rejoindre clubs et associations spécialisés. Un autre changement est associé à la montée en puissance « d’architectes de parcours de formation multimodaux » capables de concevoir tous types de séquences pédagogiques, AFEST incluses. La capacité d’analyse du besoin client et la connexion de la formation au business (compréhension fine des objectifs stratégiques et opérationnels) est un « must » pour un positionnement reconnu de « Business Partner ». Enfin, et c’est sans doute le changement le plus important, les départements formation sont appelés à revisiter leurs indicateurs de pilotage en y ajoutant des indicateurs plus proches du terrain, davantage tournés vers « la fin », le résultat opérationnel escompté, et pas seulement le « moyen » (dans une perspective RH).
Xavier Voilquin : Le rééquilibrage en faveur des mesures d’impact ne risque-t-il pas d’entraîner une rupture culturelle parmi les équipes formations existantes ? C’est une question que je me suis souvent posée… Depuis une quinzaine d’années, entre l’arrivée des LMS, la digitalisation de la production de contenus, la généralisation à pas forcé des formations en classes virtuelles puis l’irruption de l’IA générative, les équipes formation sont soumises à l’accélération du changement induit par la Data. Ce constat implique un upskilling régulier, doublé d’un accompagnement culturel, ou mieux une anticipation. La massification de la Data entraîne certes un glissement certain de l’évaluation sur le terrain des mesures d’impact… En retour, cela fixe une obligation de la « Data literacy » aux équipes formation ; par ailleurs, aura-t-on encore besoin d’ingénieurs pédagogiques, ou devront-ils plutôt se concentrer sur l’acquisition de compétences autour des outils IA, de l’analyse de la Data ? Le département formation sera-t-il à même d’entretenir une collaboration fluide avec les acteurs IT internes ou externes, de quelles compétences auront-ils alors besoin ? À moins qu’il soit plus judicieux de recomposer l’équipe formation autour de processus de « production assistée par Data » pour concourir à des mesures d’impact toujours plus fines ?
Propos recueillis par Michel Diaz
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