Le passé semble avoir tranché cette question essentielle : finalement, l’inquiétude que l’e-learning x le Digital Learning avaient suscitée chez les professionnels de formation n’avait pas lieu d’être. On entend récemment que la question est de nouveau posée avec la rupture introduite par l’IA générative… Défense du département formation.
L’inquiétude n’était pas de mise…
Les professionnels de formation ont longtemps pensé que la transformation digitale de leurs activités menaçait de les « désintermédier », c'est-à-dire de supprimer leur raison d’être parce que leurs clients seraient directement en contact avec les plateformes digitales délivrant des formations en ligne (on a parlé d’économie de plateforme). Désintermédiation partielle, la fonction formation se réservant des tâches à haute valeur ajoutée : définition, gouvernance et pilotage stratégique (enjeux, problématiques, solutions) des systèmes de formation, la direction de projet, etc. Cette menace ne s’est pas réalisée, notamment parce que les parties prenantes de la formation dans l’entreprise ont tout intérêt à ce que le département formation perdure !
(On rappellera au passage que la notion de « client » de la formation, si elle existait évidemment de longue date chez les prestataires de formation externes, est une approche relativement récente pour nombre de départements formation qui se sont longuement arcboutés sur un budget formation sanctuarisé, sans véritable concurrence… Le personnel et les métiers de l’entreprise étaient souvent considérés comme des « usagers » d’un budget limité. Multiplication des offres, explosion de la concurrence, possibilité d’accès direct aux ressources pédagogiques disponibles sur le web : pour les équipes formation, l’usager s’est métamorphosé en client à séduire, à convaincre, à satisfaire. Une nouvelle hiérarchie des valeurs et des services s’est d’autant plus vite imposée que toutes les parties prenantes (collaborateurs, métiers, direction, entreprise) se dotaient d’outils transversaux leur permettant de communiquer entre elles, et potentiellement de se passer des services d’aiguillage et de coordination offerts par le département formation.)
What if…
Que se passerait-il pour ces parties prenantes si le département formation venait à disparaître ?
- L’apprenant serait submergé par les sources d’information ; devant une nouvelle demande, il se poserait inévitablement la question : à qui m’adresser ? à Google ? à ChatGPT ? à mes collègues, à mon manager ?… Chacun de ces moyens offre certes des avantages sur la solution d’un appel plus traditionnel au département formation, mais on voit bien ce qui risque de se perdre au passage : l’expertise pédagogique, la personnalisation de la réponse, la mise en cohérence avec le parcours professionnel du collaborateur, la guidance… jusqu’à la fonction phatique d’une conversation entre le collaborateur et le professionnel de formation !
- Le commanditaire se trouve peu ou prou dans la même situation : à défaut de pouvoir s’appuyer sur le département formation, il lui faudra prendre une part plus importante dans la formation et l’accompagnement de ses équipes. En a-t-il le temps ? La compétence ? En imaginant qu’il soit de bonne volonté pour assurer cette mission (mais on sait les réticences au modèle de manager coach), sur quelle fonction support pourra-t-il compter ?
- La DRH se trouve confrontée à un autre problème : elle serait privée d’un « outil » essentiel au service de la stratégie RH court, moyen et long terme de l’entreprise… On sait le poids que la formation peut avoir dans la marque employeur et la capacité à attirer les meilleurs profils, ou dans la stratégie de mobilité interne, ou encore dans l’alignement durable des compétences sur les marchés de l’entreprise, pour ne citer que ces trois composants de la gestion des talents. Par ailleurs, la DRH se trouverait alors en prise directe avec des apprenants auxquels leur manager n’aurait pas su ou pu répondre… N’ayant aucun intérêt à voir disparaître le département formation, elle doit sans cesse s'efforcer d'en consolider la place (en évitant que le domaine formation empiète trop sur ses autres domaines).
- Quant à la Direction de l’entreprise, elle se priverait d’un adjuvant utile à l’image de l’entreprise, notamment au moment de remplir son bilan social, et d’une marge de manœuvre (négociation) avec le travail et ses représentants (les partenaires sociaux).
La fonction formation a appris du passé
Ce bref passage en revue, qui pourrait être étoffé dans de multiples directions, vise à montrer que la position du département formation est solidement établie, malgré toutes les menaces qui semblent peser sur lui.
La question se pose toutefois de nouveau avec l’irruption de l’IA générative, innovation de rupture (« game changer ») comme le secteur de la formation n’en a guère connu depuis l’avénement du numérique il y a bientôt 30 ans. Il appartient à chacun d’y répondre pratiquement, par l'action, sans se laisser tétaniser. Il paraît que c'est déjà le cas : 53 % des professionnels de formation utilisent d’ores et déjà modérément (24 %) ou largement (29 %) l’IA générative dans leur métier (source : e-learning Letter). Un niveau et une vitesse d’appropriation considérable qui donne à penser que la fonction formation a appris du passé !
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