Le premier regard que j’ai posé sur les insectes (j’avais 6 ans) en a décidé : ma passion pour cet univers fascinant allait s’installer pour toute une vie ! Faite d’émerveillement pour la nature qui nous entoure, cette passion originelle a largement sculpté mon identité professionnelle. Regard porté sur la capacité à s’émerveiller, ses vertus, et le rôle que la formation continue d’y jouer (redécouverte et développement).
Aux sources de l’enfance : curiosité et capacité d’émerveillement
Curiosité et capacité d’émerveillement vont de pair : la première comme désir d'explorer, de découvrir et de comprendre ; la seconde comme profonde émotion, sentiment de surprise et d'admiration devant ce qui est remarquable, beau ou extraordinaire. Tous, nous avons expérimenté ce sentiment dans l’enfance, sous la forme d’une insatiable soif d’apprendre ce qui nous environne. Ma vocation d’entomologiste (je suis tombé dedans dans la prime enfance !) débute par la rencontre d’un insecte ramené de Côte d’Ivoire par une relation professionnelle de mon père : fascination immédiate pour la bestiole (un Augosoma centaurus en piteux état), sa belle carapace lustrée et ses deux cornes thoracique et céphalique. Le tout début, donc, d’une relation passionnée : les insectes seraient désormais partie intégrante de ma vie. Mais il arrive souvent que la curiosité et, plus encore, la capacité d’émerveillement qui peut y être associée, viennent à s’évanouir avec la scolarisation : voulant certes bien faire, l’école donne un autre « ton » en enfermant et en formatant progressivement les individus.
La capacité d’émerveillement en action : meilleur rempart à ce que l’on croit « déjà vu ».
L’éternité, c’est long… surtout vers la fin ! Cette boutade de Woody Allen vaut parfois dans une carrière professionnelle, surtout si l’on s’y ennuie fermement. Souvenir de mes dernières années « Alcatel », et du mouvement qui incitait des collègues à prendre le dernier train des plans de départ anticipés à la retraite… Apparemment, les esprits (et le désir avec), parfois informés plus d’un an à l’avance, avaient déjà quitté les corps, impatients d’en finir avec l’entreprise. Expérience plus ou prou partagée : qui ne s’est jamais ennuyé au bureau, ployant sous des routines sans intérêt, sinon dénuées de sens, tout en feignant de rester alerte et mobilisé pour donner le change à ses collègues ? Contrairement à ce qu'on peut croire, quitter son job n'est pas la seule voie qui s'offre alors au salarié. Car il reste, forcément, à découvrir… Ce tableau accroché au mur du bureau depuis des années (et qu'on ne peut plus voir en peinture !), il suffit de le pivoter de 180° pour recomposer immédiatement une nouvelle perspective surprenante, voire émouvante ! Pétition de principe : tout est potentiellement intéressant, même le « déjà-vu » : la capacité d’émerveillement contribue à (re)donner du relief, de l’épaisseur au quotidien, plus largement au monde qui nous entoure.
La formation revisitée : la fabrique des citoyens du monde.
La formation doit sans cesse se remettre en cause ; son but : aider chacun à redécouvrir et à développer sa capacité d’émerveillement. Le défi à relever : transformer la perspective du cadre / contexte (pivoter le tableau), du déductif et du « descendant » en opportunité de génération de temps long et d’émotions, d’univers et de perspectives décalés, de confrontation et de partage des savoirs. Générer du temps long : donner de l’épaisseur au parcours de formation, laisser du temps au temps, c’est permettre aux apprenants de prendre du recul sur leurs expériences d’apprentissage, de développer leur attention, même aux « petits riens » (qui, demain, feront la différence). On s’appuiera sur une ingénierie de déroulés pédagogiques mobilisant tous les « buffers » nécessaires qui sont autant de respirations et de réflexions individuelles et collectives ! Par exemple, l’accent porté sur les émotions, dans le récit des pratiques et des vécus, renforce l’identification et l’appropriation individuelle de ces pratiques par l’apprenant. On sait le rôle clé que l’émotion joue ainsi dans l’ancrage durable des savoirs. Utile également : un discours décalé qui est en mesure, comme complément du dispositif, d’embarquer les apprenants dans des univers surprenants et inhabituels, propices à l’étonnement et à des découvertes inattendues. On notera enfin la vertu d’une approche expérimentale et inductive, chère au physicien Georges Charpak, pour faciliter la découverte préalable des concepts, pour confronter les idées, afin qu’émerge finalement un savoir collectif. Le bon formateur ne craint jamais le questionnement ni de voir ses propres savoirs remis en cause. Au contraire !
Voilà donc des ingrédients dont peuvent émerger cette capacité d’émerveillement qui conditionne une vision du monde renouvelée des participants à l’aventure. Le cap : devenir un citoyen du monde engagé via la construction de sa propre identité et de son libre-arbitre.
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