Télescopage, en ce mois d’avril, de deux informations concernant le CPF. La démonstration, s’il en était encore besoin, que les Pouvoirs Publics ne cessent depuis 10 ans de jouer aux apprentis sorciers en matière de formation professionnelle continue.
2024 : l’actualité, toujours navrante, du CPF
D’abord, la parution le 29 avril du décret sur le reste à payer (encore appelé « ticket modérateur ») de 100 € par action de formation réalisée par un salarié (hors abondement OPCO, employeur ou en cas de chômage). Ensuite, la communication par le journal « Les Echos » du montant des sommes engagées pour le CPF des motards (ou apprentis motards) depuis janvier 2024 (sur 3 mois complets donc) : 100 millions d’euros.
Ces deux informations constituent une belle opportunité, 10 années après le lancement de l’ANI (décembre 2013), de poser quelques questions de fond aux Pouvoirs Publics, pour mieux comprendre les motivations, les objectifs qualitatifs et quantitatifs qui ont initialement présidé à un dispositif qu’ils tentent (maladroitement et sans imagination) de promouvoir depuis 2015.
Première question : Quand le CPF a été imaginé (courant 2014) puis créé (janvier 2015) en remplacement du DIF (2004-2014) quelle était la motivation des Pouvoirs Publics ? Autrement dit, s’agissait-il de :
- Créer un dispositif de formation universelle (pour tous les travailleurs) et faire monter en compétences l’ensemble de la population (soit 30 millions d’actifs) ?
- Créer un O.C.S (Objet de Communication Sociale) destiné à rassurer le monde du travail (syndicats comme salariés) tout en déresponsabilisant les employeurs… Pour développer les compétences ? Prenez votre « Compte Personnel de Formation » sur votre temps libre !
Deuxième question : Au moment où, en 2018, Muriel Pénicaud transforme le Compteur CPF en une application et un système de commande et de paiement de formations, a-t-elle conscience qu’on ne peut créer un droit à 500 € de formation annuelle pour 20 millions de salariés du privé avec un budget annuel de 900 millions (il aurait fallu 10 milliards pour la seule couverture des acquisitions de droit annuels) ?
Troisième question : Pour quelles raisons l’État décide-t-il en 2021 de rendre le Permis de conduire (Auto et PL dans un premier temps) éligible au CPF. Quel est le lien entre l’obtention du permis de conduire et la montée en compétence du salarié (la question ne se pose pas pour le permis Poids Lourds ou transports en commun, sans aucun doute professionnalisant). Sachant qu’il y a près de 1,8 million de permis de conduire passés par an et qu’un permis coûte en moyenne 2 000 €, comment a-t-on pu occulter qu’un tiers au moins des 900 millions de cotisations CPF, serait absorbé par des permis sans lien direct avec le travail ?
Quatrième question : Pourquoi l'Assemblée Nationale a-t-elle adopté le 27 mars 2023 un texte de loi permettant de financer aussi des permis moto avec le CPF ? Pourquoi, face aux montants décaissés par ces permis moto/CPF (100 millions d’euros en 3 mois), l’État fait-il machine arrière quatre mois après avoir mis en place cette mesure démagogique ? (On avance que ce cadeau pourrait avoir trouvé sa source dans une compensation du contrôle technique des motos devenu obligatoire en 2024…).
Cinquième question : Le CPF a aussi embarqué les 6 millions de fonctionnaires (et assimilés) depuis 2017, la quasi-totalité des modalités du DIF fonctionnaire ayant été reprise. Pourquoi, alors que les compteurs d’une majorité de fonctionnaires ont atteint leur plafond de 150 heures, aucune mairie, aucun hôpital, aucun ministère n’ont-ils déployé et organisé massivement ce dispositif. Le CPF du public n’était-il destiné qu’à compter des heures ?
Question subsidiaire : Combien d’années encore les Pouvoirs Publics vont-ils amuser la galerie et perdre leur crédibilité avec ce CPF improvisé et non financé dans un pays où près de 30 % des travailleurs témoignent d’un faible niveau de compétences ; où 2,5 millions d’adultes sont illettrés ; où le système d’enseignement public produit massivement de l’échec, des orientations artificielles et inadaptées (« tous en fac ! », quand on manque cruellement de professionnels dans l’artisanat, dans les campagnes et, plus généralement, dans les métiers manuels) ? La formation serait-elle à ce point quantité négligeable, simple artifice de communication sociale ? Ne mérite-t-elle pas mieux que d’être un réceptacle compteur (conteur) formation impuissant ?
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