Entretien avec Jean-Roch Houllier (Head of Operations, Learning & Digital, groupe Safran) autour du programme « Safran enseigne à Safran » (Lauréat des Trophées du Digital Learning 2024 dans la catégorie « Stratégie de contenus ») et de l’organisation apprenante. Au menu : enjeux humains et business de la production internalisée de contenus pédagogiques numériques, bilan du programme et facteurs de réussite… Bref : l’organisation apprenante en action !
Le programme « Safran enseigne à Safran », en quelques mots…
Jean-Roch Houllier : Chez Safran, comme pour la plupart des entreprises industrielles, le savoir est devenu « l’or noir ». Ce constat repose sur l’énormité des enjeux que nous devons affronter : le maintien et le développement des compétences, leur nécessaire transmission, en particulier dans le champ critique de l’expertise ; les impératifs business de l’aviation décarbonnée et, comme partout ailleurs, de la transformation digitale ; le rapport au travail des jeunes générations et ses implications en matière d’organisation… Face à ces défis, notre groupe offre un bel exemple du potentiel qui réside dans une organisation apprenante constituée d’hommes et de femmes passionnés, coopérant et partageant quotidiennement leurs savoirs. C’est le principe du programme « Safran enseigne à Safran » : tout-un-chacun étant à la fois apprenant et sachant, peut contribuer à l’aventure de la création et de la transmission des savoirs.
Cette posture s’illustre notamment dans la production des contenus pédagogiques numériques ?
Jean-Roch Houllier : En effet, Safran University a conçu et déployé à grande échelle une approche de production internalisée de contenus digitaux de formation, sous un drapeau : toutes et tous créateurs et transmetteurs des savoirs ! En devenant une entreprise apprenante à part entière, nous visons à toujours disposer en permanence d’une longueur d’avance pour affronter positivement la complexité du business caractérisée par une demande accrue de compétitivité et de juste-à-temps, et pour développer des contenus « qui parlent » le langage de l’entreprise dans le respect de sa culture, de son identité et de ses expertises.
Quel bilan tirez-vous de ce programme ?
Jean-Roch Houllier : À ce jour, sur 8 000 contenus digitaux de formation, plus des deux tiers ont été conçus en interne par des salariés de l’entreprise. La communauté des auteurs comprend aujourd’hui plus de 600 salariés dans tous les métiers de l’entreprise. La pertinence des contenus créés est illustrée par un taux moyen de complétion des modules de 78 % ! Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre écosystème de la formation : Selia Formation, qui a réussi le tour de force d’interfacer autour de son LMS (Learning Management System) des solutions de spécialités, notamment notre learning portal (360Learning) auquel adhèrent 90 000 apprenants. Par ailleurs, les salariés engagés dans la création des contenus disposent d’un large éventail d’outils auteurs avec des approches pédagogiques différentes (e-learning, vidéo, podcast, apprentissages immersifs, etc.) ; ces outils sont préalablement identifiés, qualifiés et régulièrement enrichis par Safran University grâce à son plan d’innovations pédagogiques et digitales. Enfin, je ne veux pas oublier que cette production internalisée a permis de réduire considérablement les achats de modules e-learning sur mesure que nous confions auparavant à des agences externes ; l’exemple du vidéo learning et des podcasts est parlant : notre studio interne a tourné plus de 9 heures de vidéos et 3 heures de podcasts en 2022 et 2023, soit une économie supérieure à 650 000 euros par rapport à une production externe !
Quels enseignements peut-on tirer de cette initiative « à grande échelle » ?
Jean-Roch Houllier : Notre participation au concours des Trophées du Digital Learning 2024 a été l’opportunité de tirer un bilan approfondi de la stratégie « Safran enseigne à Safran ». Parmi les enseignements que nous en avons tirés, je mentionnerai d'abord l’importance d’avoir une stratégie de contenus pensée, formalisée et soutenue au plus haut niveau de l’entreprise. La question de ce qu’on entend par qualité d’un contenu vient rapidement à l’esprit, ce que nous illustrons par une formule : « à l’Everest, nous préférons le Mont Blanc dès lors que nous savons nous-mêmes créer et transmettre les savoirs de l’entreprise » ! La gouvernance et l’animation, elles aussi formalisées, de toutes les parties prenantes sont un autre facteur de réussite : toutes les énergies, celles des administrateurs, des auteurs, des référents, des apprenants… doivent converger vers le résultat attendu. Quant à l’écosystème numérique de la formation dont j’ai parlé, il doit faire l’objet d’une attention particulière : les diverses plateformes doivent être congruentes avec notre stratégie de contenus et incarner la philosophie « sociale » et « bottom-up » de Safran ! Tout aussi essentiel, il faut aider les auteurs à se professionnaliser et à conquérir leur autonomie ; c’est ce que nous avons réussi grâce à une structure d’innovation, de formation et d’accompagnement (1200 référents sont également à nos côtés). Last but not least, il faut qu’un tel changement soit conduit comme un projet à part entière : dès le départ, nous avons prévu un lot dédié au change management, adossé à des principes forts, par exemple, celui de ne pas déployer simultanément trop d’outils auteurs au risque sinon de saturer les producteurs !
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