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La résilience ou le déclassement de notre formation professionnelle ?
12 JANVIER 2024 / tendances
Didier Cozin
freelance
Si avant 2014, la situation de la formation n’était guère reluisante en France (effort insuffisant des entreprises et faible appétence des salariés)… les réformes improvisées de 2014 et de 2018) n’ont fait qu’empirer la situation en déresponsabilisant l'ensemble du corps professionnel se reposant désormais sur l’État ou la CDC. En nationalisant et en alourdissant la formation, les Pouvoirs Publics l’ont rendue à la fois fragile, complexe et ultra-dépendante, incapable sans doute d'accompagner les 30 millions d'actifs dans un monde qui est bouleversé par le numérique et les défis climatiques et géopolitiques.

La formation professionnelle continue en France : un diagnostic inquiétant

La formation n’a jamais eu les moyens de compenser les défaillances de l’éducation nationale : face à une école qui ne parvient plus à travailler convenablement (depuis l’après-68), la formation fut largement chargée, avec des moyens 10 fois plus faibles, de rétablir l’équité et la promotion sociale et professionnelle. C'est ce que la loi Delors de 1971, via le concept de « Nouvelle société », prétendait réaliser.

Ni robuste ni résistante, la formation en France n’a cessé de se fragiliser : dans son ouvrage « Antifragile », Nassim Nicholas Taleb démontre comment des systèmes décentralisés ou des organisations apprenantes peuvent se renforcer dans les épreuves, les contraintes et les crises de tous ordres. La formation pourrait, elle aussi, se renforcer dans un tel système (souple et décentralisé) où tout ne dépendrait pas d’un seul financeur ou donneur d’ordre.

Les crises à venir : financements et bureaucratisation galopante vont attenter à l’effort formation du pays : les moyens financiers et organisationnels de la formation pourraient manquer en 2024 devant la dette financière, générationnelle et éducative accumulée par le pays. En nationalisant la formation, dans le sillage des réformes de 2014 et de 2018, l’État n’a cessé de rigidifier et de ralentir notre système de formation professionnelle :

  1. Fin du droit Individuel à la formation en entreprise (remplacé par un complexe, national et impécunieux CPF).
  2. Déresponsabilisation du corps social sur la montée en compétences (« c’est à l’État de s’en occuper »).
  3. Institutionnalisation du Copanef devenu France Compétences ;
  4. Fin des OPCA et des OPCACIF devenus de simples distributeurs de subventions ;
  5. Déclin des organismes de formation, devenus des « Opérateurs de compétences » ;
  6. Déclin des organismes de formation privé, noyés sous les contraintes règlementaires (Qualiopi), démoralisés par l’instabilité et l’amateurisme des Pouvoirs Publics ;
  7. Fin de la fonction formation au sein des ressources humaines, devenue simple gestionnaire d’un plan de compétences virtuel et sans moyens. 

La France a placé tous ses œufs éducatifs dans un même panier : le choix d’une école publique dominante (en situation de quasi-monopole) pouvait se justifier aux XIX et XXe siècles ; il ne l’est plus aujourd’hui. Sous le prétexte que l’Instruction Publique (devenue Éducation Nationale en 1934) avait jadis efficacement accompagné le pays dans ses progrès techniques et sociaux, et su orienter les enfants des campagnes vers la ville, l’usine ou le bureau, on estima à tort que, ces recettes éducatives valant « ad vitam aeternam », les efforts éducatifs de la Nation ne devraient porter que sur la seule enfance et la  une formation professionnelle condamnée à rester la parente pauvre, ne corrigeant qu'à la marge nos ratés éducatifs ou réorientations professionnelles.

Le concept de formation tout au long de la vie a partout gagné le monde du travail… sauf en France : dès la fin des années soixante, il paraissait évident que le modèle unique de l’éducation durant la seule jeunesse ne suffirait plus, parce que nécessairement appelé à changer en profondeur avec l’avènement des télécom et de l’Internet (dès les années 1990).

Le sommet de Lisbonne resta lettre morte : en l’an 2000, le sommet de Lisbonne tenta de préparer les européens à cette nouvelle donne ; la société future serait plus innovante, plus éduquée et devrait être plus compétitive si elle voulait rester inclusive et promouvant les travailleurs. En 2004, la France tenta d’acculturer ce concept de la formation tout au long de la vie aussi bien à son éducation initiale qu’à sa formation continue. Hélas, en accumulant les retards et sans vouloir changer nos modèles sociaux, ni investir du temps (les RTT auraient dû servir à apprendre, et non à consommer des loisirs formatés) et de l’argent (1 % du PIB en France contre 2,5 % en Allemagne). Ce désastreux immobilisme provoqué par les réformes de 2014 et de 2018 a entraîné la formation dans le naufrage organisationnel, budgétaire et social où elle végète désormais.

Nos marges en formation pourraient encore être réduites : la formation va sans nul doute servir de nouveau de variable d’ajustement financière pour le pays, les collectivités et les entreprises. Face à la crise financière et budgétaire qui guette (un surendettement générant 30 milliards d’intérêts supplémentaires pour couvrir la hausse des taux d’intérêt, aucune marge budgétaire, des sanctions européennes prévisibles pour déficits excessifs), le pays va devoir se serrer la ceinture, et la formation avec lui, alors que les prélèvements vont continuer d’augmenter.

 Comment sortir la formation de ces impasses ? Le dossier formation pourrait devenir aussi explosif et enkysté que celui de l’éducation nationale : trop de complexité, d’intérêts catégoriels, d’efforts pour remonter la pente. C’est en libérant les forces éducatives, en décentralisant et en responsabilisant le corps social que le pays pourrait reprendre en main son destin éducatif. Une tâche immense qui s’étendra sur des décennies alors que l’économie mondialisée et les enjeux climatiques n’attendront pas les pays ni les organisations retardataires. 

Un plan en 5 points pour révolutionner la formation (avant 2027 si possible)

  1. L’installation d’un droit à l’éducation différée (avec un financement sur le budget de l’éducation nationale) ;
  2. Une cotisation formation double pour tous : employeurs (2 % de la masse salariale) et les salariés (1 %) ;
  3. Des dépenses formation considérées comme des investissements (pour les entreprises comme pour les individus) ;
  4. Un temps obligatoire de formation (au moins 10 % du temps travaillé) à prendre sur les RTT ;
  5. La privatisation et la libéralisation de toute la formation des adultes.

Sans de telles mesures fortes, la formation en France restera cette activité marginale, restreinte aux seuls travailleurs très qualifiés, ou encore occupant les autres dans des stages parking ou des dispositifs illusoires (comme le CPF).

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