À l’instar de la plupart des activités de formation, la curation des contenus pédagogiques risque d’être bouleversée par l’irruption de l’intelligence artificielle générative. En effet, le jeu de la curation, qui, dans sa version la plus sophistiquée, repose actuellement sur une combinaison plus ou moins harmonieuse de moyens humains et technologiques, ce jeu s’ouvre à la promesse du « on demand ».
Retour sur trois formes de curation de contenus de formation (on traitera principalement ici des contenus pédagogiques numériques / en ligne / e-learning…) qui peuvent être combinés, et sur le bouleversement que l'AI générative peut introduire dans les activités de curation.
#1 La curation par les experts
Les Directions Formation peuvent confier le choix des contenus de formation à des experts externes. Mais la curation des contenus est le plus souvent internalisée pour déboucher, au moins dans les formations transversales, sur des abonnements à des catalogues e-learning censés répondre aux besoins exprimés (actuel et pressentis dans un avenir pas trop lointain) par l’entreprise et/ou ses collaborateurs. Cette approche est forcément limitée par la faiblesse des ressources humaines que les services formation peuvent consacrer à la curation, de sorte qu’après avoir fait un tour du marché, on se contente le plus souvent de signer un contrat avec un grand éditeur de contenus, complété par des contenus d’appoint spécialisés (par exemple, dans le domaine de la prévention et de la sécurité). La solution d’un grand catalogue présente l’avantage, si l’éditeur a été convenablement choisi, d’une bonne couverture des besoins et d’une réelle cohérence de la ligne éditoriale et de l’approche pédagogique ; elle a pour inconvénient d’être loin de pouvoir répondre durablement à toutes les demandes de formation (thématiques, formats, langues…), quel que soit le nombre de références, même important, mais forcément limité, offertes dans le catalogue. Se contenter de cette approche, c'est se priver de tout le reste. Par ailleurs, la signature d’un tel contrat engage en général l’entreprise sur plusieurs années : au train où vont les choses, où en sera alors ce catalogue ?
#2 La curation sociale
Un nombre croissant de plateformes de formation (collaborative learning) permettent aux apprenants de noter et de commenter (fond et forme) la pertinence et la qualité des ressources pédagogiques en ligne à la manière de YouTube, et de proposer éventuellement des pistes d’amélioration. Ce scoring est une forme de curation qui emprunte aux recommandations d’Amazon (par exemple) ou, implicitement, au NPS (Net Promoter Score) ; il va donc nettement plus loin que l’identification, par les plateformes LMS traditionnelles, du niveau de consommation des contenus e-learning. Grâce à cette curation sociale, la base des contenus peut être nettoyée pour ne retenir que les ressources ayant reçu un assentiment suffisant. Les commentaires des apprenants ou des experts de contenus permettront également d’améliorer les contenus existants, voire de déboucher sur une véritable politique éditoriale. Cette approche, qui semble donc particulièrement pertinente, dépend toutefois du nombre et de qualité des apprenants qui s’y impliqueront (la pratique du commentaire ou de la suggestion n’est pas si répandue dans l’entreprise, et ceux qui « jouent le jeu » ne sont pas toujours représentatifs de l’ensemble des collaborateurs et des besoins qu’ils pourraient exprimer). On peut aussi se demander si, à la recherche d’un consensus exprimé dans le « leader board », l’entreprise ne passera pas à côté de contenus qui, malgré leur potentiel, disparaîtraient de la base puisque insuffisamment consommés. Des questions (parmi d’autres, notamment celle de la technologie utilisée) qu’un service formation devra se poser avant de lancer un dispositif de curation sociale.
#3 La curation par les algorithmes
Voilà des années que l’on parle des algorithmes appliqués à la formation. Force est de constater que l’adaptive learning (le nom qu’on donne souvent à l’application de l’IA à la formation) a accouché d’une souris. Sa promesse : l’hyper personnalisation de la formation à l’apprenant, selon son travail, son planning, ses compétences actuelles et à acquérir, ses attentes, voire son style d’apprentissage… n’a guère été tenue. L’adaptive learning s’est heurté à divers obstacles : le délicat sujet de l’utilisation des données individuelles (formation, travail), le défaut d’outils à même d’intégrer ces données pour en sortir des recommandations pertinentes et, bien sûr, le manque cruel de contenus pédagogiques numériques : à quoi servirait un input de données individuelles d’une grande richesse si, à l’autre bout de la chaîne, la recommandation (output) devait piocher dans un étroit catalogue de contenus insuffisamment variés pour être véritablement pertinente.
Combinaison des trois types de curation
Les trois types de curation — intervention d’expert, curation sociale et usage des algorithmes — peuvent être combinés. Séduisante a priori, cette « blended curation » cumule les avantages de chaque approche ; elle en cumule aussi les inconvénients ! On peut l’améliorer en s’engageant dans une véritable stratégie de curation qui, non contente de répondre à la seule question « comment combiner ces types de curation ? », considèrerait la « Big Picture » sous la férule d’une fonction formation stratège à même de traduire la stratégie business et talent de l’entreprise sous forme de dispositifs de formation multi dimensionnels (contenu, service, technologie, évaluation, pilotage…) De ce point de vue, l’intervention d’experts, surtout venant de l’extérieur avec une méthodologie éprouvée, demeure souhaitable au démarrage de la stratégie de curation, pour accompagner le responsable formation dans sa réflexion et, au fil de l’eau, pour les régulations et les développements qui s'imposeront.
L’intelligence artificielle générative : curation à la demande
Nous pensons que l’IA générative va changer les règles du jeu qu’on vient de rappeler. Car, même combinés, les trois modes de curation peinent à répondre à des besoins de formation croissants et sans cesse changeants. Les dispositifs de curation de contenus, telle qu’ils existent actuellement, peinent à se mettre au rythme du business et des attentes des collaborateurs. Ils tiennent plus d’une logique de stock que d’une logique de flux. La « curation on demand » semble rapidement devoir s’imposer dans le sillage de l’IA générative : une série de questions (prompts) posées au robot conversationnel permettra à l’apprenant d’obtenir une réponse nettement plus complète, détaillée et pertinente que celle qu’il a obtenue jusqu’alors avec un moteur de recherche ; une réponse, donc, qui constituera dans certains cas un contenu de formation à part entière (surtout s’il est enrichi des fonctionnalités image et son de l’IA générative) ; le robot conversationnel pouvant également communiquer les liens vers des ressources externes pertinentes figurant dans sa base. On n’en est pas encore tout à fait là, mais on vient rapidement à la « curation on demand » (on notera en passant que cette approche affranchit largement les apprenants, la curation cessant d'être la seule affaire des spécialistes).
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