La bombe lancée par l’OCDE il y a trois ans fera-t-elle figure de simple pétard, au vu des menaces que l’IA générative fait peser sur les emplois ? C’est vraisemblable. Réflexions autour d’un digest émanant du BCG et du Digital Requalification Lab de Harvard.
Il y a trois ans, l’OCDE prédisait que l'automatisation pourrait supprimer 14 % des emplois mondiaux dans les deux prochaines décennies, et modifier en profondeur 32 % d'autres emplois : un milliard d’actifs semblaient donc concernés, dont le travail serait transformé, sinon bouleversé. Ça, c’était avant l’entrée en scène de l’IA générative, autant dire il y un siècle au rythme où va la technologie ! Car, ce sont désormais des emplois que l’on considérait comme assurés (recherche, codage, conception, rédaction, formation, marketing, etc.) qui sont menacés par ce train d’enfer.
Pour lutter contre cette obsolescence, certaines entreprises consacrent déjà 1,5 % de leurs revenus à la formation et au développement ; un chiffre considérable, notamment pour les entreprises françaises habituées à un taux du même ordre, mais rapporté à la masse salariale non au chiffre d'afffaires (ce qui fait une différence énorme) ! Encore former et améliorer les compétences ne suffit-il plus, comme le rappelle l'étude cosignée du BCG et du Digital Requalification Lab de Harvard : c’est à un vaste effort de requalification qu'est confronté le monde du travail ; et de pointer au passage cinq conditions mises en œuvre par les entreprises qui réussissent à relever le défi de la requalification :
#1 Stratégie plutôt que relations publiques : la requalification est bien plus qu'une simple manœuvre de Relations Publiques visant à donner une image positive de l’entreprise en période d'incertitude. C’est un sujet fondamentalement stratégique, comme en témoigne la réussite d’Amazon en la matière (plusieurs milliers de salariés requalifiés).
#2 Engagement au sommet : Conséquence naturelle de ce qui vient d’être évoqué, la réussite de la requalification requiert que le comité de direction (et bien au-delà) s’engage pleinement, sans ambiguïté, en articulant explicitement requalification et stratégie. Les auteurs de l’étude pointent l’exemple du Groupe Ericsson dont la direction examine l'évolution de la formation trimestriellement… Dans combien d’entreprises françaises, la Direction fait-elle état de ce type de préoccupation ?
#3 Plus que de la formation : former oui, mais cela ne suffit pas ! Requalifier, ce n'est pas seulement former. C'est un processus profond de gestion du changement, nécessitant une compréhension des besoins, une évaluation continue, et une collaboration étroite entre managers et employés, un accompagnement de tous. On imagine la difficulté de cette continuité, notamment le manque de temps ou d’outils pour la mettre en œuvre : les plateformes intégrant gestion des talents et formation n’ont pas dit leur dernier mot !
#4 Impliquer les employés : même si les employés ont largement conscience que leur employabilité est conditionnée par une requalification, il appartient aux employeurs, à la fois, d'en démontrer les avantages, et d’apporter les moyens de cette requalification (l’employabilité est, on le sait, une coresponsabilité). Une approche pragmatique sera ici bienvenue : la requalification pourra naturellement sourdre de nouveaux emplois que l’entreprise veut pourvoir par la mobilité interne.
#5 L’appel à la collaboration : le BCG et Harvard ajoutent, on ne s’en étonnera guère, qu’aucune entreprise ne pouvant réussir seule, les incitations gouvernementales, partenariats universitaires et autres collaborations inter-entreprises, notamment, seront bienvenus pour relever le défi.
Ces cinq conditions définissent le profil du succès de la requalification dans le monde du travail, dans un effort conjoint des entreprises et de leurs collaborateurs. Le sujet est suffisamment stratégique (de sa réalisation, dépend largement l’avenir de l’entreprise) pour constituer la vision et l’axe évident d’une politique RH et formation qui a parfois des difficultés à trouver son point d’application. Sujet de relativement court terme aussi (l’horizon est de 5 ans), et inépuisable, car les technologies de rupture ne cessent d’imposer une remise à l’ouvrage. Comme l’ajoutent les auteurs de l’étude : la requalification (permanente) deviendra bientôt la norme pour les entreprises soucieuses de rester compétitives. On ajoutera que la solution ne saurait se passer du bon usage de ces mêmes technologies, par exemple : comment l'IA générative peut-elle aider les collaborateurs à se requalifier ?
(Source, qui m'a été aimablement signalée par Xavier Voilquin : Reskilling for a Rapidly Changing World)
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