L’IA générative, dont ChatGPT est un emblème, engendre désormais autant de craintes que d’espoir. Menace sur le rôle de l’humain, pour certains ; pour d’autres, au contraire, elle augmente ses capacités. Sans nier les enjeux éthiques soulevés par l’IA, il importe de cerner les multiples possibilités de l’AI pour la fonction formation. J’ai retenu 3 premières opportunités autour de thématiques au cœur de mon métier : les Learning Analytics, l’Adaptive Learning et le support de la performance.
Learning Analytics : l’art du questionnement
Voici plus de 10 ans que je traite du sujet des Learning Analytics, que j’ai choisi de définir comme étant « l’art du questionnement ». En effet, le véritable défi n’est pas d’accumuler des données (les traces d’apprentissage), mais d’obtenir des réponses pertinentes à des questions qui le sont tout autant. De ce point de vue, la découverte de ChatGPT a été une révélation : un outil compilant toutes les données accessibles dont on peut tirer profit par un simple jeu de questions réponses… J’en rêvais, ChatGPT l’a fait ! l’ « art du questionnement » devenant au passage l’ « art du prompt » ou le « prompt engineering ».
Utiliser Chat GPT pour interpréter des données d’apprentissage semble donc aller de soi… Un responsable de formation pourrait commencer sa journée de travail, par exemple, en entamant ce dialogue avec l’IA générative :
- Peux-tu me dire s’il y a des étudiants en difficulté actuellement ?
- Sais-tu pourquoi ce groupe semble plus en difficulté que les autres ?
- Peux-tu me proposer des actions d’accompagnement appropriées pour cet élève ?
De la science-fiction ? Certes, des progrès restent à faire pour être en mesure de « faire parler les données » de manière aussi naturelle ; mais on cerne déjà tout le potentiel d’une IA comme Chat GPT dans ce domaine, qui, loin de menacer le rôle des accompagnants, me semble au contraire pouvoir leur procurer un soutien inédit.
Adaptive Learning : le Saint Graal enfin à portée de main ?
L’apprentissage individualisé (Adaptive Learning) a fait naître beaucoup d’espoir depuis l’avènement du numérique. Dès 2004, la notion de « parcours adaptatif » est standardisée grâce à SCORM 2004. Un parcours n’est alors plus vu comme une suite linéaire de ressources, mais une multitude de cheminements possibles, régis par des règles logiques, imaginées par son concepteur. Une difficulté rencontrée dans cette approche : les règles de cheminement sont biaisées, chaque concepteur ayant ses propres vision et approche, qui ne reposent pas toujours sur les seules données objectives. Tout au long des années 2010, ce biais a fini par disparaître grâce à l’avénement des algorithmes : nombre d’éditeurs se sont positionnés comme des « Netflix » de la formation, visant à répondre aux attentes des apprenants grâce à leur moteur de recommandation. On notera que le biais des algorithmes a remplacé celui des concepteurs, par un phénomène bien connu hors formation : les plateformes grand public tendent à enfermer l’utilisateur dans ses goûts et à cultiver l’entre-soi.
Il manquait donc un élément essentiel, apte à gommer ces deux biais : plutôt que de deviner ce dont l’apprenant a besoin, pourquoi ne pas échanger sur ce point avec lui ? C’est ce que ferait un formateur, n’est-ce pas ? ChatGPT, comme agent conversationnel, nous montre justement comment l’apprenant peut aider l’algorithme à mieux comprendre ses besoins, par un processus itératif, nourri des rétroactions. Exemple de prompt :
- Peux-tu me proposer des ressources pour renforcer mon niveau en anglais ?
- Merci, mais je préfèrerais focaliser sur la compréhension orale. Peux-tu me proposer des ressources adaptées ?
- Je souhaiterais avant tout être capable de tenir une conversation lors d’un diner d’affaires. Peut-on se concentrer là-dessus ?
- Comment puis-je me présenter ? Quelles sont les formules de politesse usuelles ?
Les données et les algorithmes ne font pas tout. La clé du succès réside largement dans l’interaction entre l’apprenant et l’algorithme, et ChatGPT illustre ce que l’IA peut apporter dans ce domaine.
Former, Assister, Automatiser
Une profonde crise des talents sévissant sur le marché de l’emploi, les services de recrutement peinent à trouver les bonnes compétences. Dans ce contexte, investir dans la formation est devenu une priorité. Sous une réserve : dans leur réponse, les professionnels de la formation doivent être de plain-pied avec les enjeux opérationnels de l’entreprise, sauf à être (de nouveau) en retard d’une guerre. Ce que l’IA nous rappelle brutalement… D’abord, par sa capacité à automatiser certaines tâches : produire une illustration, générer du code, traduire un texte, faire un bilan comptable, etc. De nombreuses activités, qui ont jusqu’à présent nécessité des compétences spécialisées, sont en grande partie automatisables. Et, quand elles ne le sont pas entièrement, l’IA vient finalement « augmenter » les capacités humaines, améliorant la productivité tout en palliant des défauts de compétences.
L’IA est donc également partie intégrante de la solution : la crise des talents se résoudra en investissant dans l’intelligence artificielle comme dans l’intelligence humaine. Opposer les deux est stérile, alors qu’il est indispensable d’assurer ce continuum : former, assister, automatiser.
Le fond et la forme
Il est ainsi urgent de nous interroger sur la nécessaire évolution de la formation. Sur le fond : les efforts de formation vont devoir cibler en priorité les compétences essentielles, complémentaires à l’IA. Sur la forme : on a plus que jamais besoin de décloisonner la formation, en l’intégrant, par exemple, aux stratégies de support de la performance.
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