Le rapport annuel du World Economic Forum sur l’avenir du travail est toujours attendu des Directions Formation qu’il aide à projeter leur plan de développement des compétences à plus ou moins long terme. Il y est question des compétences indviduelles et collectives qui sont nécessaires pour s'adapter à la généralisation du digital, voire du travail hybride. Le podium : Pensée créative, Pensée analytique, Culture digitale…
Rupture technologique, travail hybride
Le dernier rapport « Future of Job » continue de pointer l’impact inouï de l’IA sur le monde du travail. L’IA n’est ici que la part émergée de l’universalisation des technologies et des usages numériques qui bousculent le monde du travail (ce qu’admettent 85 % des organisations, pour qui les technologies digitales viennent en tête des « disrupteurs »). On sait de longue date que les compétences digitales ne sont pas un luxe, mais la généralisation du digital impose qu’on doive dorénavant parler de « culture digitale » et de « digital literacy » comme on parlait autrefois des humanités.
À cette rupture technologique, ajoutons qu’on ne travaillera plus comme on travaillait encore il y 3 ans. Numérisation et pandémie ont conforté des tendances qui étaient déjà en gestation : le télétravail est devenu une revendication majeure des salariés, quitte, lorsque leur entreprise se fait tirer l’oreille à ce propos, à se muer en free lancers (gig economy) ; mais le « tout télétravail » n’est pas pour autant revendiqué, car le besoin d’un échange non médiatisé par les écrans s’impose à tous : « fait-on entreprise » sans jamais aucun regroupement ? Des compétences spécifiques au travail hybride sont assimilables à des compétences digitales déjà évoquées, par exemple, la capacité à user convenablement des plateformes de collaboration et à appliquer les bonnes pratiques de ce qu’on appelait autrefois la « nétiquette » (« ensemble de règles informelles (…) de conduite et de politesse recommandées sur les premiers médias de communication mis à disposition par Internet » selon Wikipédia). Aujourd’hui, Le besoin va au-delà de la nétiquette (et du maintien, dont la nécessité perdure, des règles de conduite et de politesse) parce que de nouvelles compétences spécifiques doivent être mobilisées : capacité à identifier les émotions à distance dans un environnement humain appauvri, à écouter, à adapter sa prise de parole aux nouveaux canaux de communication, à utiliser les outils de la construction collective (tableau blanc en ligne, etc.)… On peut, là aussi, parler d’une nouvelle culture collaborative en ligne.
Parmi les personnes touchées, on fera un sort particulier aux organisateurs, responsables RH, juristes, etc. chargés de concevoir les nouvelles règles du travail hybride (distribution du temps et des missions dans / hors l’entreprise physique) et aux managers qui doivent les faire vivre dans leurs équipes. Ces compétences en matière de « blended working » ne courent pas les rues, mais elles peuvent s’inspirer des architectures blended learning conçues dans la formation.
Capacité d’adaptation
Tout le monde en convient : dans un contexte de crise permanente, la capacité d’adaptation prend une dimension accrue. Cette capacité résulte d’un ensemble de compétences relevées par le rapport « Future of Work », dans l’ordre : 1. Pensée créative 2. Pensée analytique 3. Culture digitale 4. Curiosité et apprendre à apprendre 5. Résilience, flexibilité et agilité 6. Pensée systémique 7. IA et big data 8. Motivation et conscience de soi 9. Gestion des talents 10. Orientation vers le service et service à la clientèle. (Liste à la Prévert : que vient y faire la gestion des talents ? Ou l’orientation vers le service, qui pourrait être le produit d’autres compétences déjà dans la liste (cette liste n’a rien de l’axiomatique dont elle veut se donner l’air)).
La publication de chaque nouvelle édition du rapport fait le délice des commentateurs : quelles compétences ont disparu, lesquelles sont apparues, telle compétence a-t-elle rétrogradé, telle autre progressé ? L’évolution du podium mériterait à elle seul d’être étudiée avec un esprit critique (une compétence qui a disparu du rapport 2023…). Au-delà de la part d’arbitraire du jeu, on retiendra la prépondérance des soft skills et de la compétence / culture digitale qui, tenant le haut du pavé, semblent irrévocablement liées. De quoi inspirer les Directions learning & development dans leurs plans de formation.
Coda
Le télétravail dessine une frontière entre ceux qui peuvent en bénéficier… et tous ceux qui, « sur le terrain », exercent un métier dont on a pu mesurer la valeur pendant la crise (transport, soin à la personne, santé, distribution, etc.). On pensait qu’un redoutable défi collectif nous attendait : revaloriser (salaires, formations, plans de développement individuels, etc.) des métiers faisant l’objet d’une véritable désaffection, faute de pouvoir se former, évoluer, ou tout simplement travailler une partie du temps à domicile. Ce défi est-il soluble dans l’IA ? On peut se le demander, car elle est incapable de remplacer ces métiers (au contraire de nombre d’emplois de bureau) ; lesquels pourraient retrouver leur attraction… L’IA signerait alors la revanche du terrain ! Savoureux.
Michel Diaz
Source : La Lettre Innovative Learning, Juin 2023
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