Robot conversationnel ? Pas vraiment ! On est très loin, en effet, de la conversation telle qu’elle s'est codifiée comme un art, voilà des siècles. Même si l’usage du prompt peut donner le sentiment que l’on converse, ChatGPT ne s’y méprend pas : il admet être sans intériorité. Le comble serait, alors, qu’on veuille lui faire la conversation !
À propos de conversation
L’art de la conversation a trouvé son plein épanouissement dans les salons littéraires (souvent tenus par des femmes de l’élite sociale) du 17ᵉ siècle français. Il était pratiqué par des philosophes, des artistes, des aristocrates… férus de débats intellectuels qui étaient autant d’occasions de briller sur toutes sortes de sujets (littérature, philosophie, science, morale, etc.). Un art finalement très codifié, à l’instar des conditions de son exercice ; la courtoise en particulier était de rigueur.
Des compétences pour converser (combinaison de savoir et de « soft skills »)
L’art de la conversation suppose un large éventail de compétences. À commencer par l’esprit critique, pour pouvoir évaluer et critiquer les arguments échangés, ainsi que la réthorique et le style qui sont deux piliers de l’éloquence. Clarté et finesse d’esprit devaient également être au rendez-vous, comme le rappelle Nicolas Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Mais, ces compétences, quoique déterminantes, ne devront pas faire pas l’économie d’un savoir étendu, car les interlocuteurs n’avaient d’autre choix que de développer une vaste culture. L’art d’écouter, tout aussi indispensable que l’éloquence (sans quoi la conversation serait un monologue), implique qu’on soit capable d’imaginer et de comprendre le « sous-texte » caché dans les propos échangés. Affaire de contexte : l’art de la conversation requiert qu’on soit au fait des règles et des hiérarchies sociales, et qu’on partage de nombreuses références. À quoi l’on pourrait ajouter le sens de l’humour, à moins qu’il s’agisse de celui, plus dangereux, de l’ironie typiquement française.
On constatera ici que ces compétences pourraient, au moins certaines d’entre elles, inspirer les soft skills qui conditionnent l’employabilité moderne (confère l'édition 2023 du rapport du World Economic Forum). Parce que la conversation, telle qu’on l’entend au Siècle d’Or, est finalement un exercice d’adaptation requis par le changement imprévisible et incessant des sujets de conversation !
Peut-on converser avec ChatGPT ?
Il semble qu’on soit toujours plus nombreux à « converser » avec ChatGPT… Mais, s’agit-il vraiment d’une conversation ? ChatGPT répond sans fausse modestie à cette question : « Oui, une conversation avec ChatGPT est non seulement possible, mais c'est en fait sa principale fonction. » Et de développer, sans user du « Je » (ChatGPT serait-il rimbaldien : « Je est un autre » ?), sans crainte de se contredire en passant : « ChatGPT est un modèle de langage formé pour comprendre et générer du texte en langue naturelle. Il est capable d'interagir avec les utilisateurs dans une variété de contextes, y compris des conversations informelles, répondre à des questions, fournir des explications sur divers sujets, et même aider à la rédaction de documents ou à la génération de contenus créatifs ». Car, quoiqu’on puisse penser des interactions avec le robot conversationnel, on est évidemment à des années-lumière de l’art de la conversation évoqué plus haut.
Tout y manque, en effet, de ce qui en fait la saveur : vision, culture, éloquence, incarnation, sens de l’humour, ironie, esprit critique, etc. Ce qu’il admet : « ChatGPT ne comprend pas le sens du texte de la même manière qu'un être humain le ferait. Il ne possède pas de conscience ou de sentiments personnels ». Ou encore : « Quand vous conversez avec ChatGPT, vous conversez avec un système logiciel sophistiqué qui génère des réponses basées sur les modèles de langage qu'il a appris, mais sans conscience ou véritable compréhension du langage qu'il utilise ». S’il faut être deux (au moins) pour converser, alors on admettra qu'user du terme de conversation est ici abusif : interagissant avec ChatGPT, je demeure seul, parce que, derrière la génération de texte par le machine learning, il y a tout le monde, c'est-à-dire personne.
De la maïeutique au prompt
Dans l’art de la conversation, écouter s’accompagnera souvent de l’art d’interroger, dont la maïeutique constitue un moment clé. La pratique du « prompt » (une compétence qui semble se monnayer au prix fort), qui consiste à poser des questions en donnant des contraintes ou des indications à ChatGPT, à itérer de nouvelles questions à partir des réponses obtenues, cette pratique s’apparente-t-elle à la maïeutique ?
Non, parce que c’est l’utilisateur et non le robot qui pose les questions (le temps est-il si éloigné où l’IA les posera à son tour, sur une simple demande de l’utilisateur), et parce que ChatGPT n’a aucune intériorité : il « ne "sait" rien par lui-même et n'a pas de vérités ou de connaissances à découvrir ».
Oui, dans la mesure où le bon usage du prompt me guide, par le jeu des questions, dans le maquis des réponses, car les réponses de ChatGPT m’obligent à être toujours plus précis dans les questions que je vais faire suivre.
Une sorte de maïeutique inversée ? Les formations au prompt qui font actuellement florès, gagneraient à chercher de ce côté.
|