L’ingénieur pédagogique est à l’intersection de deux mondes. Ingénieur, il use de process, de méthodes et systèmes ; sa collaboration avec d’autres ingénieurs est souvent source de grand plaisir ! Créateur de contenus digitaux, il appartient par ailleurs à la grande famille des artisans, pour ne pas dire des artistes… Le métier d’ingénieur pédagogique démontre pratiquement que la dichotomie présumée entre ces deux modes d’être — ingénieur, artiste — n’est pas de mise.
On s’imagine volontiers à quoi ressemble un ingénieur ou un artiste. L’ingénieur (qu’on voit forcément porter des lunettes !) est assis devant son écran d’ordinateur, concevant un système complexe. L’artiste, c’est un « bohème » en conflit avec les normes sociales (tenue vestimentaire négligée, déstructurée…). Ces images d’Epinal sont fausses, tellement qu’elles dissimulent l’essentiel : artiste et ingénieur partagent une même approche créative de la résolution des problèmes, même s’ils usent de méthodes différentes.
L’artiste part souvent d’une intuition, sa liberté favorisant le jaillissement d’idées d’abord peu structurées ; une intuition, fondée sur une vision globale, qui l’incite à expérimenter, à explorer de nouvelles techniques ou approches, dans un champ des possibles évoluant sans cesse. L’ingénieur procède méthodiquement, logiquement : étudiant un problème spécifique, il déploie une méthodologie rigoureuse qui privilégie l’exercice de la raison, avec un objectif : s’assurer du plus court chemin pour résoudre le problème.
Ces deux approches sont plus proches qu’on le croit, car la créativité, l’innovation, l’invention sont à mi-chemin des pratiques de l’artiste et de celles de l’ingénieur. En conséquence, se méfier des idées arrêtées (« générer des idées, pour toi, c’est facile »… « La créativité, ça t’est naturel, mais, moi, je ne suis pas créatif ! », etc.) : ces assertions tracent une frontière artificielle, ne serait-ce que parce que la créativité est une compétence qu’on peut développer. Je ne crois pas que la créativité soit innée : elle ressemble à un muscle qui se développe au fur et à mesure qu’on le mobilise.
Les ingénieurs pédagogiques savent que leurs projets les plus réussis sont le fruit d’essais intuitifs, d’années d’apprentissage et d’expérimentations dont certaines ont échoué, et que c’est la réaction devant l’échec qui fait la différence. Beaucoup de concepts pédagogiques n’arrivent pas à terme, malgré toutes les promesses qu’ils contenaient en germe ! Confère le « Comptoir de la pédagogie » qui, en 2018, visait à publier des articles de fond sur la pédagogie autour desquels je souhaitais agréger une communauté de professionnels de formation qui se rencontrerait tous les mois, dans un lieu convivial… Le projet a fait long feu après quelques mois, faute de… discipline ! En effet, la vraie valeur d’une idée réside principalement dans l’esprit de suite qui la soutient et la capacité de résilience face aux obstacles (dont le moindre n’est pas « tout le monde s’en fiche »).
S’entraîner, s’exercer, garder le rythme, respecter l’organisation qu’on s’est donnée. Dans sa pratique de la créativité, l’artiste a tout autant besoin de discipline que l’ingénieur, ce qui n’est pas si simple, car l’envie nous guette de papillonner d’un projet à l’autre pour rester dans l’air du temps. On change son intitulé de poste (un « Digital strategist manager » devient « Formateur expert en IA »). Ce butinage n’est pas sans intérêt, parce qu'il permet d’explorer de nouvelles voies et de s’ouvrir à d’autres domaines. Cependant, un projet mené à bon port, qui a nécessité qu’on s’y accroche sérieusement, est à mon sens une source de compétences autrement riche.
Résumons : l’artiste et l’ingénieur sont, l’un comme l’autre, des créatifs animés du désir d’apporter de nouvelles idées, de nouvelles solutions ; l’artiste en procédant de façon itérative ; l’ingénieur en mobilisant sa créativité dans la conception de solutions innovantes. Leur créativité résulte d’une approche méthodique, intuitive et rigoureuse d’usage universel. L’artiste ingénieur ? L’ingénieur pédagogique en est une illustration saisissante !
(Adaptation : e-learning Letter)
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