Suzanne Feydy (Cheffe du Bureau de la Formation, Direction des Ressources Humaines) revient sur le projet de formation en réalité virtuelle destiné aux éboueurs de la Ville de Paris et aux ATEPE (adjoints techniques de la petite enfance) qui a remporté le Trophée « Expérience et engagement apprenant » du Digital Learning 2023. Une réussite qui construit l’avenir.
Le projet de la Ville de Paris qui a remporté, c’est deux projets en un ?
Suzanne Feydy : Effectivement, ou plutôt, c'est un seul et même projet dans sa conception – le déploiement de la réalité virtuelle dans nos formations – que nous avons choisi d’expérimenter sur deux terrains, deux types de public et de métiers différents : d’une part, les éboueurs, et, d’autre part, les adjoints techniques de la petite enfance (ATEPE). Les 5 500 éboueurs de la Ville assurent au quotidien la collecte des déchets et l’enlèvement des objets encombrants sur la voie publique, balaient et nettoient les trottoirs, assurent le déblaiement des marchés, etc. Les ATEPE, au nombre de 1700 à la Ville, sont des personnels indispensables de nos 400 crèches municipales, qui assurent les fonctions de préparation des repas, d’entretien du linge ainsi que la propreté des locaux.
Dans le cadre de notre expérimentation, nous avons donc créé deux capsules de réalité virtuelle, une pour chacun de ces deux publics, que nous avons intégrées à leurs formations initiales respectives.
Quelles sont les spécificités de ces deux types de public ?
Suzanne Feydy : Le choix de cette cible d’expérimentation a été mûrement réfléchi, avec l’objectif de tester la VR (réalité virtuelle) auprès de personnels les plus représentatifs possibles des 340 métiers de la Ville.
Sur le plan de la formation, les éboueurs et les ATEPE partagent nombre d’enjeux communs avec d’autres métiers de la Ville – je pense notamment aux métiers de l’espace public (espaces verts, voirie, police municipale) ou de l’accueil usagers (écoles, mairies…). D’abord, un enjeu de mobilisation : comment donner envie à ces agents de venir en formation ? Comment valoriser leur investissement personnel dans le développement de leurs compétences ? On constate un taux d’absentéisme important (autour de 18 %) dans nos formations, même réglementaires. Nous savons aussi que la mobilisation des personnels de terrain, parfois plus éloignés de la formation, est un de nos plus gros défis. Ensuite, une fois en formation, l’ancrage mémoriel prend le relais : comment s’assurer d’une bonne réception des messages par ces publics que l’on sait peu réceptifs aux formations classiques, en salle, et tournées essentiellement vers la théorie ? Des problématiques de maîtrise de l’écrit ou du français peuvent se surajouter et créer des obstacles supplémentaires dans l’accessibilité des contenus pédagogiques pour ces agents.
Une des clés de réponse, que nous déployons bien sûr depuis longtemps, consiste à développer la pratique en formation pour impliquer davantage les agents. Cette mise en pratique est cependant souvent complexe – et parfois impossible – en raison de contraintes logistiques ou de sécurité, afin de ne pas mettre les agents en danger pendant la formation.
Quelles modalités de formation avez-vous retenues pour lever ces obstacles ?
Suzanne Feydy : Pour répondre à ces enjeux, nous avons voulu expérimenter la réalité virtuelle avec l’intuition que ce format favoriserait l’engagement des apprenants à tous niveaux : ludique et innovante, la VR confère davantage d’attractivité aux formations et permet de valoriser la mobilisation des agents ; immersive, elle permet de mieux impliquer l’apprenant dans la formation et de le responsabiliser dans son apprentissage, et ainsi de mieux ancrer les messages. Surtout, elle est un moyen innovant, souple et efficace d’introduire de la pratique en formation.
Pour en favoriser l’appropriation par les apprenants et les formateurs, nous avons fait le choix de déployer la VR dans des formations existantes, en présentiel – donc en format blended – pour ancrer ce format dans un contexte concret et surtout connu des agents. Cela a permis d’éviter un certain « effet gadget » que nous pouvions redouter avant le démarrage de l’expérimentation. Par ailleurs, pour tenir compte de l’éloignement du numérique parfois constaté chez ces publics d’agents cibles, le déploiement de la VR a été assorti d’une offre de facilitation numérique soutenue.
Sur le plan pédagogique, nous avons fait un usage très finement ciblé de la VR dans ces formations, avec tout d’abord une attention particulière portée au choix des thématiques : il était essentiel pour nous que la VR s’intègre là où la pratique était impossible via la formation classique (dans le cas des éboueurs, pour des raisons de sécurité ; dans celui des ATEPE pour des motifs organisationnels) pour lui donner une vraie valeur ajoutée. La conception des modules a aussi été travaillée soigneusement pour favoriser l’engagement apprenant à chaque instant : les modules sont courts, très immersifs et concrets avec des mises en activités réplicables à l’infini qui permettent à l’agent de se positionner et de mesurer ses progrès en direct. Ils ont également été conçus avec la méthode FALC (facile à lire et à comprendre) pour les rendre largement accessibles.
Quel bilan tirez-vous du projet ?
Suzanne Feydy : Depuis le début de l’expérimentation, près de 1000 éboueurs et ATEPE ont pu bénéficier de ces capsules de réalité virtuelle, avec un bilan qualitatif extrêmement positif. Au global, malgré leurs craintes initiales, les agents bénéficiaires se sont montrés très satisfaits du dispositif et témoignent de l’intérêt pédagogique réel du format VR. Des questionnaires de satisfaction ont été réalisés auprès de chaque apprenant après la fin de chaque capsule. Ils démontrent que les agents ont très majoritairement apprécié cette nouvelle modalité d’apprentissage (94 % des répondants) et estimé avoir appris de nouveaux gestes, de nouvelles procédures grâce à ce format (87 % des répondants). Les participants ont l’impression grâce à la VR « d’être sur le terrain sans vraiment y être » et estiment que ce format aura un impact positif sur leur mémoire des gestes appris pendant la formation.
Du côté des responsables formation, même s’il est encore un peu tôt pour avoir un réel recul sur l’ancrage pédagogique réel permis par la VR, ces premiers retours nous permettent d’ores-et-déjà de constater qu’elle répond à une de nos attentes principales : trouver de nouveaux vecteurs de formation pour proposer des mises en situation que nous ne pouvons pas organiser dans des formations classiques. L’impact positif immédiat que l’on peut observer dans les témoignages des agents, qui se sentent valorisés d’être formés de manière aussi innovante, est aussi pour nous un vrai signe de réussite de ce projet !
Quel est l’avenir de cette approche à la Ville de Paris ?
Suzanne Feydy : La réalité virtuelle a indéniablement un bel avenir dans les formations de la Ville. Forts du succès de cette première expérimentation, nous envisageons désormais de la déployer dans d’autres formations métiers. Plusieurs services de la municipalité ont ainsi témoigné leur intérêt pour ce format, pour des formations et des publics très divers : gardiens d’écoles, policiers municipaux, premiers témoins incendie, formation des égoutiers, gestion de la cuisine dans les crèches municipales, etc. Plus généralement, la réalité virtuelle procure des perspectives très intéressantes pour tous nos métiers techniques et ouvriers de la collectivité : bâtiment, espaces verts, voirie…
Propos recueillis par Michel Diaz
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