Le CPF est un dispositif paradoxal : dans les organisations privées ou publiques, il est parfaitement anecdotique (quelques CPF pour des milliers de travailleurs en poste), mais à écouter les Pouvoirs Publics (confère, par exemple, les « hivers de la formation » de la semaine passée à Cannes), il serait la trouvaille éducative du siècle que nous envierait le monde entier, s’il n’était pas victime d’escrocs, et un peu de son succès…
Voilà qui expliquerait que l’État a décidé de fermer les vannes de la formation en limitant radicalement les formations éligibles au CPF (l’incroyable parcours du combattant requis pour chaque inscription, via l’identité numérique de la poste), puis en mettant les derniers clous à son cercueil : le ticket modérateur de quelques centaines ou milliers d’euros.
Les principes qui ont présidé à la création du CPF (en 2015) sont bien connus
Rappelons les tenants :
- Mettre fin à un DIF (Droit Individuel à la Formation) qui indisposait les employeurs, parce que durant 10 années, ils l’avaient laissé vivoter (77 milliards d’€ de dettes formation DIF selon les calculs de la Cour des Comptes) ;
- Mélanger tous les dossiers formation dans une grande marmite de la réforme : la formation continue des salariés, la formation des jeunes NEET, la formation des chômeurs, l’apprentissage, les reconversions professionnelles, les transitions… ;
- Évincer les employeurs du développement des compétences (sauf sur ce volet « pénalités de 3 000 € en cas d’absence de formation sur 6 années ») ;
- Ainsi, imaginer (fantasmer) un dispositif de formation qui serait à la seule main du salarié (un salarié simultanément auteur, prescripteur et réalisateur de ses formations) ;
- Externaliser vers la caisse dépôts un imposant, complexe et fragile système de compteurs formation (en heures puis en euros), qui ferait tout à la place des OCPO (ou des employeurs) : présentation d’une offre nationale de formation, commandes des formations, contrôle et enfin règlement du prix des formations, le tout sur le modèle d’une « marketplace » dématérialisée (vive la « Startup nation » !).
Le CPF où la formation à l’ancienneté, hésitant entre le livret de Caisse d’épargne et l’assurance sociale (contre le risque formation ?)
C’est une histoire contée par nombre de responsables formation dans leur usine : à quelques mois de leur retraite, nombre de salariés rencontrent leur responsable RH ou leur manager et leur expliquent qu’ils aimeraient utiliser leur CPF avant leur retraite. Ayant « épargné » depuis presque 20 ans (2004) des heures, puis des euros de formation (5 000 € cette année), sans jamais se former, ces salariés chercheraient à enfin « consommer leur forfait formation ».
Le CPF démontre d’abord les carences et l’absence de culture formation dans notre pays
Dans un pays qui manque globalement de culture et d’appétence pour la formation (la formation s’oppose à la société des loisirs et de la consommation), miser sur l’appétit des salariés pour consommer des unités éducatives tous les 5 ou 10 ans ne pouvait pas répondre valablement à cette double problématique professionnelle :
- La perte de compétences des travailleurs français (classés désormais à l’avant-dernière place des pays de l’OCDE pour leurs compétences professionnelles) ;
- La perte de compétitivité des organisations (notamment industrielles) qui peinent à former, reconvertir ou simplement à maintenir l’employabilité de la main d’œuvre ouvrière.
En 2023, un grand nombre de salariés vont dépasser le plafond des 5 000 € de CPF
Si en 2004, les partenaires sociaux et les législateurs avaient imaginé un plafond pour les compteurs DIF/CPF (120 puis 150 heures de DIF et désormais 5 000 € de CPF), c’était pour inciter les travailleurs à utiliser régulièrement ce capital formation : soit en se formant chaque année durant une vingtaine d’heures, c’est-à-dire se former sans entamer leur capital accumulé (qui se reconstituait finalement chaque année) ; soit en soldant leur compteur pour des formations plus longues (120 heures) ou plus coûteuses (5 000 €).
Problème : avec cette capitalisation d’heures (dans la fonction publique) ou d’euros (dans le secteur privé), le risque serait qu’un beau jour de 2023 (par exemple), des millions de travailleurs (10 millions à ce jour ?) auront cumulé tous leurs droits alors qu’en face, ni l’État ni les entreprises n’auront voulu, pu ou su provisionner les dizaines de milliards d'euros ainsi cumulés depuis 2004 (10 milliards d’euros supplémentaires chaque année depuis la monétisation de 2019).
Le paradoxe d’un CPF devenant payant (et coûteux) pour les travailleurs les moins qualifiés (et les Seniors)
Dans un souci d'économie, le législateur a donc décidé (Amendement du 11 décembre 2022) dans la dernière loi de Sécurité sociale de faire payer aux salariés une partie de leur CPF (de 20 à 30 % du prix total ?). Cela implique qu’un travailleur Senior (que les Pouvoirs Publics veulent pourtant maintenir dans l’emploi avec la réforme des retraites) devra désormais payer de 100 à 1 500 € pour se former avec son CPF ou qu’un travailleur étranger non qualifié souhaitant, par exemple, prendre des cours de français (FLE) devra lui aussi débourser des centaines d’euros pour se former.
Le CPF : « canada dry » de la formation
Même si son financement était forcément insuffisant, cette idée d'un compteur formation qui engrangerait des droits à la formation (comme on engrange des points sur une carte de fidélité) et qui devait permettre à chacun de consommer ses droits à la formation, cette idée d’une formation carte de fidélité / Caisse d'épargne / assurance, démontre à quel point elle était et demeure irréaliste.
La formation continue se distingue de l’école où il suffit d’accumuler les preuves qu’on s’est formé ! La multiplication des certifications n’est pas la preuve de la compétence ni de l’employabilité, ni même du professionnel. Elle a besoin de temps, de financements pérennes et de perspectives de développement pour le travail, pas d’improvisations ou d’imprécations sociales.
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