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Quelles sont les promesses de la formation continue en 2023 ?
13 JANVIER 2023 / tendances
Denis Cristol
consultant-chercheur
Question posée par e-learning Letter à Denis Cristol en cette aube de 2023 : opportunité de rappeler les grands mouvements qui travailleront la formation en 2023, et au-delà. Privilégiant une approche holistique, montrant comment la formation s'inscrit dans les enjeux majeurs de l'époque, cette vision inspirera sans aucun doute tout professionnel de formation désirant que l’apprentissage aide chacun à comprendre et à passer à l’action. 

Le numérique grand public a été une surprise à la fin des années 1990. Capable d’une multiplicité de tâches (mémoire, analyse, calcul), le numérique est devenu un contexte colonisant une pluralité d’espaces et de fonctions avec le pouvoir de nous connecter les uns aux autres. Avec la puissance de calcul et la connexion continue, avec des équipements mobiles toujours plus performants, l’intelligence se distribue dans une multitude d’objets connectés. Des super-calculateurs ouvrent d’incroyables perspectives pour produire des textes et les transformer en programmes informatiques, en images créatives, en pensées originales, en préconisations et analyses. Les intelligences artificielles génératives, que l’on apprend à questionner, apprennent à nous répondre : une double boucle d'apprentissage augmente l’homme et humanise la machine. 2023 est le moment où de véritables aides d’apprentissage en ligne répondant en langage naturel deviennent accessibles. Dès lors, le numérique éthique s’invite dans le débat : qui programme les algorithmes ? dans quelles finalités  ? selon quelles références  ? pour quels apprentissages ?

Plus la société s’individualise, plus elle invente des formes d’individualisation (égoïstes, identitaires, coopératives, mutualistes). Le rapport aux savoirs oscille selon des formes sociétaires (liens électifs et contractuels), communautaires (participation à une variété de communautés d'appartenance), réticulaire (démultiplication de liens faibles en réseau). Les apprentissages se développent ainsi à l'occasion de programme de formation, à partir de dynamiques sociales ou de façon informelle et dispersée. Cette individualisation s'accompagne d'une intention de certains acteurs (tête de réseau institutionnel, grandes entreprises, associations) d’une mise en commun de ce que chacun a acquis, laquelle, partant du sens dont chacun se dote, participe du développement d'intelligences collectives.

L’individualisation née dès le XVIIIᵉ siècle est revisitée par les questions sociétales présentes. Un écart subsiste entre les organisations qui cherchent à dominer le commun et les velléités individuelles qui s’obstinent à vouloir l’habiter singulièrement. Il s’agirait de faire collectif en s'affiliant librement les uns aux autres, et non parce qu’une autorité hiérarchique, morale, religieuse, politique l’impose. Lorsque l’entreprise décrète une communauté apprenante, l’échec est fréquent ; au contraire, lorsque les individus perçoivent un intérêt commun, un processus vertueux s’enclenche. 

Apprendre à apprendre ensemble nécessite de nouvelles inspirations en provenance de pans délaissés de notre humanité. Les intelligences collectives qui se composent sont inspirées par le vivant dont tout le monde a pris conscience pendant les périodes récentes de confinement. Ce renouvellement se produit par observation de la nature (bio mimétisme) : nous nous souvenons que les animaux ont connu les émotions 200 millions d'années avant nous, que leurs comportements sociaux sont riches d’enseignement pour apprendre ensemble. La formation peut nous relier à la nature alors que nous nous en sommes éloignés (selon le CNRS, nous vivons désormais en moyenne à 9,7 km d’un espace naturel en 2022, en augmentation de 7 % en 20 ans). 

Les publics de la formation suivent leur propre cheminement sans tenir compte des injonctions de s'adapter aux conditions d’emploi ou aux métiers qui leur sont proposés, les femmes toujours stigmatisées dans leur accès à la formation sont en recherche d'égalité par l’éducation, les jeunes porteurs d'exigences renouvelées sur les engagements climatiques ou sociétaux, les seniors qui divergent dans leurs carrières et veulent se reconvertir s'inscrivent dans un idéal d'émancipation.

Si le wokisme prétend tout déconstruire, la formation professionnelle n’y échappe pas. Chacun se forme pour soi selon le sens qu’il compte donner à sa vie, non parce que l’économie a besoin de chauffeurs, de serveurs ou d’enseignants. L’écart est patent entre les politiques publiques qui voient dans la formation un outil de compétitivité nationale et les individus qui l’envisagent pour s’épanouir dans leur vie. Alors que les outils légaux (compte personnel de formation) cherchent à influencer les comportements en orientant les financements, les individus persistent à conquérir leur liberté d’apprendre ce qui est bon pour eux. Si la formation reste un jeu entre syndicats, employeurs et gouvernement, elle est un enjeu de la motivation pour se former et apprendre qui leur échappe.

Des expérimentations innovantes de dispositifs d’apprentissages collectifs autodirigés, des apprentissages collectifs et numériques informels, des accompagnements d’autoformation… autant d'explorations (parmi d'autres) sur les nouvelles possibilités d’apprendre. Ces dispositifs stimulés par les Régions pour développer une résilience territoriale apparaissent en marge des grands opérateurs de formation, dans une variété de lieux alternatifs comme les tiers lieux combinant d’autres fonctions (accueil de migrants, recyclage d’objets, conception de la ville, incubateurs d’entreprises, moment culturel, ou vivre ensemble). Libérées, pour partie, des contraintes réglementaires de Qualiopi ou de tout référentiel de programme pensés a priori, des façons de faire société et d’apprendre à apprendre ensemble s’inventent, par le moyen de co-design, de redécouverte de pratiques d’éducation populaire. Des alliances improbables se nouent entre banques et acteurs culturels, associations et recherche, militants et citoyens sur des objets en transformation (politique publique, projets de territoire, développement économique et startup).

Dans un grouillement d’initiatives s’observe la montée en puissance des pratiques de facilitation. La professionnalisation des fonctions de facilitation vient se superposer aux fonctions de coaching qui s’étaient développées à partir des années 1980. La figure du facilitateur et ses pratiques centrées sur les processus plutôt que sur les contenus se détachent et viennent réoxygéner les stages de formation dont l’apport des neurosciences aux techniques d’animation n’a pas suffi à redynamiser l’attrait. La libération de dopamine par la réussite à des exercices téléguidés ne construit que de la motivation extrinsèque, nullement une puissance d’agir et une pensée critique, « savoir-faire doux » indispensable pour faire face aux transitions en cours.

Les questions sociétales, les grands enjeux climatiques et économiques, traversent toutes les formations. Les opérateurs de formation sont sommés de répondre à la question « À quoi bon apprendre quand la planète devient invivable et les conditions de vie se dégradent (service public de transport, d’éducation et de santé en déclin), dans un contexte de forte pression économique (inflation, coût de l’énergie, réforme sur les retraites) ? La réponse est dans le besoin de comprendre ce qui se passe, mais aussi d’agir - d’où la démultiplication d’approches du type « fresque du climat » qui se déclinent pour une variété de thématiques.

La recherche du désir d’apprendre est l’enjeu clé des opérateurs de formation. L’apprenance, cette attitude positive pour apprendre, est de plus en plus centrale, elle devient un point de gravité au regard de la traditionnelle « formation professionnelle continue », objet d’attention des négociations sociales. L’apprenance n’est pas univoque, il faudrait parler des apprenances, organisationnelles, territoriales, rurales, urbaines : tout devient apprenant et cherche à embarquer du désir. La question de la motivation à apprendre est dépassée par celle de l’engagement. Un désir de concret et d’action se perçoit auxquelles les offres de formations doivent répondre. Plus que jamais la pédagogie est à redécouvrir pour accompagner une élévation de la conscience collective afin d’agir en faveur du bien commun et pas seulement pour accroître son potentiel de carrière ou satisfaire les indicateurs de gestion d’une organisation ou d’une politique publique. De nouveaux indicateurs sont à rechercher pour rendre compte de « l’effet formation ». Plus que jamais, le lien entre, d’une part, le désir d’apprendre et de s’élever individuellement et collectivement, et, d’autre part, la démocratie est à renforcer.

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