L’apprentissage par les pairs (une approche pas si nouvelle) devient incontournable dans les « voyages d’apprentissage », en particulier quand il s’agit de produire et de transmettre des savoirs.
REX (retour d'expérience) sur la solution We Are Peers expérimentée chez Safran : structuration et potentiel de l’apprentissage par les pairs…
Tous sachants : chacun sait quelque chose, chacun peut donc contribuer à la création et à la transmission des savoirs
En 2001, Monica Higgins et Kathy Kram innovent dans la pratique du mentorat, avec les réseaux développementaux. Leur constat : il ne suffit plus d’une seule relation pour résoudre les problèmes du quotidien dans un contexte de complexité et d’incertitude croissantes du business et de son environnement : ne plus compter sur une « personnalité omnisciente » (providentielle), mais sur un collectif de personnalités, chacune détenant (parfois sans le savoir) une partie de la réponse au problème posé.
Création et transmission des savoirs s’exercent alors collectivement. L’horizontalisation des apprentissages bouleverse le champ de la formation : qui (quels collectifs) détient le savoir ? comment est-il partagé ? En effet, on doit sortir du jeu des rôles qui étaient jusque-là bien détourés (d’un côté, le sachant, de l’autre l’apprenant), et il faut dorénavant s’appuyer sur le double principe d’alternance intentionnelle (pédagogies interrogatives et actives) et de facilitation (nouvelle posture du formateur).
La montée en puissance de la pairagogie est concomitante à celle des apprentissages sociaux
Les composantes sociales et en situation de travail (apprentissage expérientiel) décrites par le modèle « 70/20/10 » se sont installées au cœur des démarches d’ingénierie de formation. Les départements de formation, qui en ont compris le potentiel, intègrent toujours plus avant ces modalités nativement informelles dans leurs stratégies de formation.
L’apprentissage par les pairs (ou « pairagogie », d’après « peeragogy ») appartient au vaste domaine des apprentissages sociaux : l’approche pédagogique mettant ici l’accent sur l’apprentissage « avec et par » les autres. La dualité individu/collectif se déploie selon la vision d’un apprentissage collectif, curieux et respectueux des individualités (ce qui fait un écho personnel à la rédaction d’un dictionnaire auquel j’ai contribué : l’ouvrage résultant était une œuvre collective dont chaque contributeur signait, en responsabilité, ses définitions pour la durée de vie de l’ouvrage).
Unissant temporairement les collaborateurs de l’entreprise dans un moment de partage et de production de savoir, la pairagogie conditionne l’émergence de l’entreprise apprenante (composante collaborative) ; grâce à elle, chacun dispose d’un espace de suggestion propice à l’implication, à la reconnaissance, au gain en confiance et à la réflexivité : un atout essentiel alors que domine « le temps court ». Le concepteur pédagogique y trouve également un formidable levier d’engagement des apprenants, ce qui n’est pas un mince avantage tandis que leur attention est toujours plus difficile à capter !
Last but not least, cette approche est aujourd’hui outillée par des plateformes digitales qui permettent de formaliser et de soutenir le déroulement de séquences d’apprentissage par les pairs.
Déploiement de l’apprentissage par les pairs, dans les « voyages d’apprentissage »
La conception et la mise en œuvre d’une séquence de pairagogie n’échappe pas à la règle : elle requiert un savoir-faire spécifique pour donner sens, intentionnalité et structuration au partage et à la production des savoirs.
Quelques incontournables d’une mise en œuvre réussie (pour partie, empruntées à la méthodologie développée par We Are Peers) :
- L’intentionnalité doit s'expliciter par des objectifs partagés (par exemple, ayant trait au traitement d’une problématique) ;
- Chaque participant doit préalablement être questionné (asynchrone), pour renforcer la prise de recul (réflexivité) avant le passage en collectif ;
- Prise en main du groupe et définition du contexte d’apprentissage (à distance, en face-à-face, en mode hybride, etc.) et des règles du jeu (grandes étapes du séquencement, durée, etc.) :
- De bout en bout, nous devons mettre en œuvre une posture de facilitation propice à la production autonome / collective des savoirs ainsi qu’à la guidance des apprenants (« tempo », jalons, interventions, lorsque requises) ;
- Alternance de phases de production et de partage (pour mieux refléter) à plusieurs niveaux (par exemple, en sous-groupes de pairs puis en « plénière ») ;
- Consolidation des savoirs co-crées avec la production d’un livrable commun ;
- La séquence doit finalement être évaluée par les pairs.
Dans un monde où les savoirs sont devenus le nouvel « or noir » des entreprises, il est difficile d’imaginer qu’on puisse durablement se passer de l’apprentissage par les pairs ; au contraire, cette approche est amenée à prendre toute sa place dans la boîte à outils des architectes de voyage d’apprentissage.
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