Jean-Roch Houllier et Xavier Voilquin reviennent sur les forces et les tendances qui travaillent les emplois L&D, au sortir de deux années qui ont bouleversé la fonction et le paysage de la formation en entreprise. Une suite traitera prochainement de la question de l’identification, du développement et de l’actualisation permanente des compétences L&D nouvellement requises.
Le point de vue de Jean-Roch Houllier
On peut vraiment parler d’un retour en grâce de la formation et de la reconnaissance grandissante de son importance au sein des entreprises. Longtemps considérée comme secondaire (je me souviens encore de l’expression « cimetière des éléphants »), la fonction formation est aujourd’hui un partenaire reconnu, voire incontournable, en support à la transformation accélérée des entreprises et des métiers, au développement et à la professionnalisation de leurs salariés ; plus encore, elle est un levier de leur attractivité.
L’avènement de l’ère digitale et la crise sanitaire ont accéléré sa transformation tant dans les modalités de sa conception que de sa délivrance avec, pour maîtres-mots : continuité, multimodalité et ubiquité de l’action de formation.
La reconnaissance de la formation doublée d’une mutation de ses métiers ont entraîné la refonte et l’apparition de nombreuses compétences. L’époque d’une expertise exclusivement centrée sur la délivrance de formation présentielle (face-à-face) est révolue ; elle s'enrichit désormais d’un grand nombre de compétences associées au développement du digital. Pour beaucoup de celles-ci, par exemple la compétence d'animation de classes virtuelles, la crise sanitaire a entraîné que leur maîtrise passe d’optionnelle à obligatoire, ce qui a pour conséquence de revisiter sérieusement l’employabilité des acteurs de la formation ! La complexité engendrée par le digital a également rebattu les cartes et débouché sur la diversification des emplois L&D : quel individu pourrait aujourd’hui prétendre détenir toutes les compétences associées aux emplois L&D ? La compétence L&D au sens large est plus que jamais une affaire d’équipe et le fruit de la complémentarité de plusieurs expertises réunies.
Le marché de l’emploi L&D est en tension et la concurrence est rude : identifier les bons emplois et leurs compétences associées, attirer, recruter puis retenir les meilleurs est désormais un enjeu de taille pour les acteurs de la formation. Ces nouvelles compétences empruntent à des univers différents dont le digital est un point commun. En matière de « hard skills », la maîtrise des compétences associées aux mécanismes de l’apprentissage et des apports variés du digital dans l’univers de la formation m’apparaît essentielle dans la mesure où ces compétences sont à la base même de la conception de tout dispositif de formation à l’ère digitale. À ce niveau également, les compétences ayant trait au pilotage du portefeuille de formations, les fondamentaux de la conduite de projet et les principes d’évaluation au premier chef. Les « digital skills » s’incarnent dans les compétences liées à la variété des solutions et des technologies digitales. L'e-learning, la classe virtuelle, la vidéo, le podcast pour n'en citer que quelques-unes. Les « soft skills », enfin, font la liaison avec le contexte dans lequel se conçoit et se déploie la formation : la capacité à cadrer un besoin de formation, à développer une relation de confiance avec son client et toutes les parties prenantes du projet de formation ou encore à participer, cultiver et développer un réseau de pairs en interne ou en externe de l’entreprise en sont quelques exemples.
Plus généralement, j’observe l’émergence de plusieurs dimensions structurantes dont sortiront des nouvelles fonctions dans les départements formations : dimensions systémique, curative et analytique avec respectivement la montée en puissance d’architectes de parcours de formation, de curateurs de contenus variés ou encore d’analystes des données de la formation.
Le point de vue de Xavier Voilquin
Le marché de l’emploi L&D est façonné par l’accélération des formidables mutations en cours et par une pandémie qui, nous rappelant notre finitude, a engendré une inquiétude diffuse et le sentiment individuel d’une urgence symbolisée par la « Grande Démission » ou la multiplication des cours de bien-être. Les équipes formation n’y échappent pas, qui ressentent le même besoin de donner du sens à leur travail. Cela passe, à mon avis, par la bonne compréhension de la contribution que chacun peut apporter à l’entreprise, et donc, par l’actualisation et l’exercice permanent, chez les professionnels de formation, de l’agilité intellectuelle pour entendre les enjeux business et de la capacité à accepter le changement.
Dans cette approche, le service formation gagnerait évidemment à recruter en interne des profils provenant du business, la fonction L&D pouvant ainsi se réinventer comme jalon d’un parcours de carrière et plus que comme un terminus ! Cela permettrait sans doute de renforcer le « sens au travail » difficile à trouver dans l’accélération digitale imprimée par le « new normal » post pandémique. Mais l’essentiel reste l’attention à porter aux employés, le digital n’étant qu’un paramètre de l’équation générale ; une attention à tous, supportée par un leadership décidé à investir dans le développement des employés, ce qui rejaillit positivement sur la fonction L&D.
Par ailleurs, la fonction L&D doit adopter les préoccupations d'une direction d'entreprise plus que jamais globale, « tech savvy », et préoccupée de la gestion des talents. Dans ce contexte, les nouvelles technologies sont l’outil indispensable pour individualiser des offres de formation qui seront fondées sur la compréhension des enjeux de l’entreprise. Paradoxalement, c’est la digitalisation qui permet d’individualiser massivement les formations ! D’une culture présentielle facilitant le contrôle, on passe à une hybridation dans laquelle le distanciel, qui requiert qu’on se fasse confiance, l’emporte largement. Le service formation doit toujours plus satisfaire les attentes individuelles de l’apprenant moderne décrit par Josh Bersin, loin d’être auparavant remplies dans le cours présentiel.
De nouvelles fonctions apparaissent, par exemple, les « Learning advisors », mais les formateurs, instructional designers, responsables pédagogiques, etc. ne sont pas exemptés de mieux comprendre les enjeux du business et de développer des compétences marketing et vente, sauf à se contenter du taux d’engagement catastrophique des MOOC : publier un cours, même gratuit, ne suffit pas pour que l’apprenant (un client comme un autre) s’approprie le programme ! Les technologies numériques doivent être vendues, elles aussi, car elles sont lancées en rafales ; chez Medtronic, par exemple, la plateforme Teams a été suivie d’un LXP, puis de nombreux outils poussés par le Marketing, la Compliance, etc. On notera également que les compétences d’animation de communauté s’imposent avec le social learning, et que, si le nouveau métier de « Learning Experience Manager » rappelle incidemment que le contenu est roi, le consommateur, l’apprenant, s’érige en arbitre d’un succès qui dépend de l’expérience qu’on lui propose.
Deux compétences encore. D’abord, la compétence « data » : consolidation et interprétation des données, à l’heure où les plateformes « spray and pray » nous aident à mieux connaître nos publics, contre un peu de liberté donnée aux employés de choisir leur programme ; ces données faciliteront la prise de décisions plus pertinentes. Ensuite, la compétence financière, qui n’a pas à être partagée par tous, est désormais indispensable pour négocier les budgets de formation dans un contexte pénurique ; elle sera précédée de la connaissance des objectifs financiers des décisionnaires et des indicateurs aptes à les convaincre. À nous de parler leur langage, car il n’y a peu de chance qu’ils se mettent à parler le nôtre !
À suivre…
Propos recueillis par Michel Diaz
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