La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (septembre 2018) avait réitéré la menace d’une sanction de 3 000 € par salarié non formé (et sans entretiens professionnels). Personne n’a vraiment voulu prendre au sérieux cette menace (tout de même : 1 million d’euros tous les 330 salariés non formés) au moment où la réforme précédente (2014) a prévu cette pénalité. Le temps a passé, l'heure des comptes arrive.
Le 30 décembre 2021, le Ministère du Travail a publié un nouveau décret (n° 2021-1916) relatif au recouvrement, à l’affectation et au contrôle des pénalités pour formation en cas d’absence de gestion des parcours professionnels des salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés ; sont précisées les conditions d’abondement des comptes CPF des salariés non formés : « Les 3 000 euros d’abondements correctifs doivent être versés, pour le 31 mars 2022, par virement, sur l’Espace d'employeurs et financeurs (EDEF), disponible sur le site MonCompteFormation ».
Une première salve de pénalités à régler d'ici au 1ᵉʳ avril 2022
On doute que les entreprises acquittent spontanément cette pénalisation à géométrie variable (pour les seules entreprises de plus de 50 salariés et pour les seuls salariés en CDI depuis six ans ou plus), dont il faut signaler qu'elle est sujette à des problèmes d’interprétation considérables :
- Quels critères seront effectivement applicables et à quels contrats de travail ?
- Deux arrêts de la Cour d’appel (Paris en 2020 et Dijon en 2021) ont semblé réduire la portée de la loi puisque les juridictions rendaient optionnelle la tenue des 3 entretiens professionnels si le salarié avait été effectivement formé (critères exclusifs ou cumulatifs des entretiens ou des formations) ;
- Quelle durée de formation sera admissible (deux heures d’E-learning sur six années de durée ?) ;
- Quel traçage des entretiens sera admis (une simple reconnaissance écrite par le salarié ou la production d’une synthèse de chaque entretien avec sa convocation) ?
- Comment considérer des critères différents de formation dans la même entreprise sans risquer l’accusation de discrimination ?
- Quel suivi des obligations pour les salariés à temps partiel (ou très partiel) ?
- Comment faire quand le contrat de travail a été repris chez un autre employeur ?
- Combien d'employeurs vont effectivement se conformer à la loi et pour combien de leurs salariés ?
- Quels seront leurs critères pour abonder les salariés (ou pas) ? Avec quels risques de discrimination ?
- Quel rôle les représentants du personnel joueront-ils (ou pas) ?
- Dans quelles mesures les services de contrôle (URSSAF ou DREETS) pourront effectivement vérifier la bonne exécution de la loi et les parcours de centaines de milliers (millions) de salariés chaque trimestre ?
Rappel sur les entreprises concernées (de plus de 50 salariés)
En 2016, la France comptait 18 600 entreprises ayant entre 50 et 99 salariés, 10 800 entreprises entre 100 et 249 salariés, 6 300 entreprises de plus de 250 salariés. Ces entreprises employaient environ 7 millions de salariés dont on peut estimer, d’après nos études, que 50 % environ n’auront pas été formés conformément à la loi :
- Absence des 3 entretiens professionnels entre 2014 et 2020 ;
- Absence de traçage et d'organisation d'une formation autre qu’obligatoire ;
- Absence de transmission d'un état des lieux à chaque salarié concerné de son parcours professionnel sur six années (communication qui devait être faite avant le 30 septembre 2021).
10 milliards d'euros de pénalités seraient donc dus… Seront-ils jamais payés ?
Dans cette hypothèse (50 % des salariés non "gérés" durant les six années écoulées), le CPF de 3,5 millions de salariés doit être abondé de 3 000 €, soit un montant total de 10 milliards d’euros sur Moncompteformation (le montant exact d'une année de CPF pour 20 millions de salariés du privé).
Dès le 1ᵉʳ avril 2022, les pouvoirs publics devraient communiquer les résultats de cette nouvelle obligation de formation, mais la question reste posée : qui voudra payer des millions pour la formation ?
À suivre…
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