Learning Data, Learning Analytics, Intelligence Artificielle (IA) : ces termes ne peuvent plus être ignorés des Directions formation, tant ils sont omniprésents dans les analyses de tendances, programmes de recherche et arguments marketing des acteurs du Digital Learning : doit-on y voir la promesse d'un grand soir technologique, ou s’agit-il plutôt d’une tendance de fond progressivement amenée à transformer notre vision de la formation ?
Du rôle stratégique des données : l’exemple de la pandémie Covid-19
Sortons un instant de l'univers de la formation et observons le monde qui nous entoure. Bien sûr, en ce début 2022, les esprits sont encore largement occupés par la pandémie de COVID, qui a été un formidable laboratoire pour observer le rôle des données dans un contexte de crise.
Nous avons vu à plusieurs reprises les scientifiques se succéder sur les plateaux des chaînes d'info pour partager des avis contradictoires. Privés de données objectives, les plus grands spécialistes n'ont eu d'autre choix que de spéculer, confondant parfois hypothèses et convictions personnelles.
Pour tenter d'y voir clair, il aura fallu compiler les données disponibles, développer des indicateurs précoces (contaminations) via des nouveaux capteurs (tests PCR), rendre les données intelligibles (Covid Tracker), mener des études (Discovery), expérimenter des stratégies (mesures barrières), développer des modèles prédictifs, etc.
Bien sûr, ces outils resteront imparfaits tout au long de la crise. Pourtant, ils fourniront une fragile boussole pour dépasser les polémiques et tenter de prendre les meilleures décisions.
Cette crise a révélé notre fragilité face à l'absence de données fiables, alors que des décisions critiques devaient être prises. Elle nous a rappelé que même les plus grands spécialistes ont besoin de données objectives pour faire leur travail.
De la « décision critique » dans le quotidien des acteurs de la formation
À l’aune de ce qu’on vient de voir, parler de décisions critiques en formation pourrait sembler exagéré. Et pourtant, depuis quelques années la formation est bel et bien devenue un rouage clé du fonctionnement des organisations et de l'économie en général.
Le marché du travail se tend et les talents se font rares. Les entreprises doivent préparer les nouvelles recrues, aligner les compétences aux besoins opérationnels, réorienter leur force de travail au gré des changements. Sans formation efficace, les entreprises voient leur performance, leur agilité, leur résilience et leur croissance compromises.
La formation étant bel et bien devenue critique, les acteurs de la formation doivent prendre des décisions importantes au quotidien ; prenons trois exemples :
- Le pilotage de la formation est rendu délicat face à la diversification et à la volatilité des compétences : comment savoir qui former, à quoi et à quel moment pour « aligner » au mieux les compétences ? où faut-il concentrer les efforts quand les ressources et le temps sont limités ?
- La conception des dispositifs pédagogiques nécessite des prises de décision constantes. Malgré le talent des concepteurs, l'efficacité d'un dispositif reste difficilement prévisible. L'expérimentation est souvent nécessaire. Elle permet la collecte de données qui guideront la conception des futurs dispositifs ou l'ajustement de dispositifs existants.
- Acteur de ses apprentissages, l’apprenant doit arbitrer des choix quotidiens : à quoi me former pour être prêt à assurer la toute prochaine mission ? comment intégrer mes temps d'apprentissage dans le flot de travail quotidien ?
Ces décisions sont critiques, pour que la formation tienne toutes ses promesses ; leur pertinence impose de s'appuyer sur des données fiables.
Concrètement, où en est-on ?
Depuis plus de 3 ans, les éditeurs anglo-saxons utilisent systématiquement la « Data » comme un argument de vente, avec, derrière ces effets d'annonce, des investissements considérables — on pense, par exemple, à l'acquisition en 2019, par Cornerstone OnDemand, de Clustree, société spécialisée en IA.
À les en croire, les éditeurs français ont commencé à suivre ce mouvement. C’est le cas, pour ne citer qu'eux, de TeachOnMars pour le Mobile Learning, de Speexx pour l'apprentissage des langues, ou encore Widid pour l'apprentissage immersif.
Dans le monde académique, les projets se multiplient. Les grandes écoles, universités et laboratoires de recherche sont à la manœuvre depuis plusieurs années, soutenus par des financements publics éclairés : le LORIA et son projet METAL, ISAE SUPAERO pour son approche Micro Learning, ou encore le projet Gaia-X qui regroupe de multiples acteurs, dont France Université Numérique.
Tous ces projets mettent en avant un usage plus ou moins complexe des données, des simples tableaux de bord jusqu'aux algorithmes d'IA les plus sophistiqués. La promesse d'un apprentissage adapté aux besoins individuels domine (Adaptive Learning), suivie par diverses thématiques : indexation de ressources pédagogiques, génération automatique de contenus, agents conversationnels (chatbots), etc.
Learning Data : les entreprises peuvent mieux faire…
Du côté de la formation professionnelle continue, en France, les choses semblent aller plus lentement.
Si l'usage des données est sous-jacent à nombre d'outils adoptés par les entreprises, rares sont les acteurs qui traitent les Learning Data dans leur ensemble, comme un enjeu d’entreprise.
Principale difficulté : la multiplication des outils pédagogiques (on parle désormais d'écosystèmes), chacun générant et exploitant ses propres données, indépendamment des autres. Ces silos de données s’opposent à la possibilité de bâtir une vision transversale des actions de formation.
Pour traiter la donnée de manière globale, il faut améliorer l'interopérabilité des systèmes. C'est à quoi vise justement un standard comme Experience API (xAPI) qui nécessite le plus souvent un travail d'intégration impliquant la DSI et les éditeurs.
Cet effort d'intégration serait vain s’il ne partait pas d’une vision stratégique du rôle des données au service de la formation et de la valeur qui pourra en être retirée. À défaut d'une réflexion de fond, les choses en restent souvent là.
On est loin des efforts déployés dans le monde académique, ce qui surprend d’autant plus que celui-ci a tardé à digitaliser ses formations. Mais il semble que les planètes s'alignent en matière de financements publics, d’esprit de recherche et d'innovation, de préférence pour les solutions logicielles ouvertes, etc.
Cette tendance de fond, conjuguée aux efforts des éditeurs les plus innovants, finira immanquablement par diffuser dans le monde de la formation professionnelle continue.
En résumé
- Le rôle des données croît de manière évidente dans notre société. Il suffit de suivre l'actualité pour s'en convaincre.
- Dans le domaine de la formation, les éditeurs de solutions logicielles et le monde académique se sont emparés du sujet et développent tous les jours des solutions innovantes.
- Du côté des entreprises, il reste beaucoup à faire, à commencer par le développement d'une vision stratégique sur le rôle des données au service de la formation. Mais les consciences s'éveillent progressivement.
Dans un prochain article, nous explorerons quelques pistes concrètes pour aborder un projet Learning Data.
À suivre…
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