Centraliser ou non la production de contenus pédagogiques digitaux au service formation ? Abordée dans les deux premiers articles de cette série de trois articles, la question mérite enfin une synthèse nuancée : la réponse est en effet affaire de curseur, dépendant notamment des enjeux de formation… De fait, le service formation n'a guère le choix, car il doit être capable de soutenir les deux approches en parallèle…
Centralisation : un inconvénient majeur
Le principal inconvénient de centraliser la production des contenus pédagogiques digitaux, c’est celui d’une moindre mobilisation de l’intelligence collective de l’entreprise où l’on sait qu’il y a pourtant potentiellement nombre d’autres auteurs qui n’appartiennent pas au service formation — parmi eux, par exemple, ceux des experts de terrain animés du désir de transmettre leurs connaissances (ces « sachants » sont parfois qualifiés de « leader », dans la mesure où la volonté de partager effectivement leur savoir a un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’organisation).
Centraliser la production des ressources pédagogiques au service formation, c’est donc, sinon répondre avec une moindre pertinence aux attentes, au moins courir le risque d’être moins réactif, car, pour être pertinente, la réponse suppose que les experts métiers soient consultés avec souvent plusieurs allers-retours pour s’accorder sur le livrable définitif. Ce processus, qui s’apparente largement au cycle en V de la gestion de projet, allonge souvent les délais de production du service formation, et réduit fortement sa capacité de production des contenus pédagogiques digitaux.
Décentralisation : quelques inconvénients
A contrario, décentraliser la production des contenus pédagogiques digitaux peut présenter l’inconvénient de nuire à l’homogénéité et à la clarté de messages clés que l’entreprise souhaite faire partager à tous ses collaborateurs.
C’est vrai, par exemple, dans le champ des valeurs de l’entreprise qui supposent, pour être connues et partagées par l’ensemble du personnel, une formulation au plus juste, dans le contenu et la forme, comme dans le choix et l’exploitation de médias soigneusement sélectionnés qui ne sauraient être laissés à l’arbitraire de chaque équipe ou entité. C’est vrai aussi pour les formations de conformité réglementaire : le sujet est trop délicat, et les conséquences d’une formation mal conçue trop dommageables, pour décentraliser la production de contenus - lesquels doivent prouver que tous les collaborateurs ont bien reçu ces formations obligatoires, et que parmi eux certains sont bien habilités à exercer leur métier dans l’entreprise.
Centraliser et décentraliser selon les formations
Pour contourner l’ensemble de ces inconvénients, il faut à la fois centraliser et décentraliser la production de ressources pédagogiques ! Ce n’est pas contradictoire : la clé réside, comme on l’a laissé entrevoir plus haut, dans l’externalité de formation visée.
La production des contenus pédagogiques digitaux sera largement centralisée dans tout le champ des formations « corporate » touchant, par exemple, aux valeurs, à la conformité réglementaire, aux programmes de management ou de leadership, aux changements comportementaux rendus nécessaires par l’évolution du travail ou la transformation digitale des activités… Ces domaines sont étroitement supervisés par la DRH, parce qu'ils engagent le moyen ou le long terme (soft skills, réponse aux aspirations des collaborateurs, renforcement de la mobilité interne) ou les aspects réglementaires du travail. Cependant, centraliser ne signifie pas que le service formation travaille seul dans son coin ! Au contraire, sur ces sujets d’une grande importance, il s’assurera de collaborer avec toutes les parties prenantes (sans oublier la direction) : dans toute centralisation, il y a une part de décentralisation.
Quant à la production décentralisée, elle sera mise en œuvre partout où il est nécessaire de s’appuyer massivement sur les experts métiers dans l’élaboration des formations, et où la formation devra être délivrée le plus rapidement possible. Ce « partout » est repéré : c’est celui où l’on attend que la formation contribue effectivement à la performance opérationnelle des métiers et des collaborateurs au jour le jour. Raccourcir les délais de production suppose alors que la formation soit conçue et décentralisée par et sur le terrain ; cela passe en particulier par la dotation des experts métiers en outils auteur simples d’utilisation, à même de capturer les savoirs au plus près du travail. Mais, décentraliser, ce n’est pas se désintéresser de ce qui se passe dans les métiers ! Parce qu’il appartient au service formation, d’une part, d’apporter la méthode et les outils, et d’édicter les règles (par exemple, l’homologation des contenus sur le portail de formation) et, d’autre part, d'identifier et d’inciter les experts « leader » à produire des contenus de formation : dans toute décentralisation, il y a une part de centralisation.
Résumons
Le choix d’une production centralisée ou non des contenus pédagogiques digitaux est affaire de curseur qui :
- dans le cas des formations métier (business) servant la performance opérationnelle au jour le jour, devra privilégier la décentralisation, sans se priver d’une certaine dose de centralisation nécessaire ;
- dans le cas des formations corporate (développement du capital humain, mobilité, culture digitale, programmes managériaux, etc.), devra pencher du côté de la centralisation sans qu’elle se fasse au détriment d’une collaboration / part de décentralisation essentielle à l’embarquement des parties prenantes.
Cette approche n’épuise pas la question, car il y a du court et du long terme dans toute formation, du support à la performance des métiers au jour le jour et du corporate dont l’effet se mesure moins rapidement. On notera enfin sur ce sujet inépuisable que ce choix (où l’on place le curseur) sourd principalement de la culture de l’organisation. Par exemple, dans les organisations apprenantes, le service formation se voit déchargé d’une grande partie de la production de contenus, pour exercer une mission plus stratégique de veille, de pilotage, d’incitation des tiers experts à cette la production et d’homologation des produits de formation.
Volet 1 : Stratégie L&D : faut-il décentraliser la production des contenus digitaux de formation ?
Volet 2 : Stratégie L&D : la tentation de centraliser
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