Si l’on parvient à dépasser un instant la souffrance engendrée par la crise, un mérite de celle-ci, c’est de réveiller notre part de solidarité. Plus c’est difficile, plus se serrer les coudes devient indispensable, plus apprendre ensemble « en proximité » a de la valeur : agir pour et sur son territoire pourrait être un nouveau moteur de l’apprendre.
Pendant des décennies, l’apprentissage trouvait sa légitimité et ses soutiens publics quasi uniquement dans son impact souhaité dans le monde du travail. Il s’agit de s’élever par son travail, de faire carrière, de contribuer à enrichir son entreprise, et de proche en proche toute la nation. Mais, si cet enrichissement n’a cessé de contribuer à des niveaux de vie toujours plus élevés, il a également fait pression sur l’environnement, la nature, les espaces jusqu’alors protégés et des espèces disparaissant irrémédiablement. À se focaliser sur le seul profit, l’entreprise a fini par perdre de vue le grand angle, la vision globale.
Recherche de sens et « territoires apprenants »
En 2020, Google a calculé que « Pourquoi » est le mot le plus fréquemment saisi partout dans le monde, toutes langues confondues. Il exprime une recherche, un besoin de sens. Les entreprises s’efforcent de se muer en « entreprise à mission », les administrations cherchent à innover, les associations poursuivent leur quête d’engagement en activant les vocations. Toutes les organisations explorent les sens qu’elles veulent servir. Ces redéploiements sont ancrés dans des lieux, car les crises ont fait prendre conscience de la fragilité des lignes logistiques, de la réalité des espaces et des frontières. C’est certainement l’une des raisons qui fait l’actualité des « territoires apprenants ». Par territoire apprenant, je comprends des territoires de projets et pas seulement des territoires de ressources ou de distribution d’équipements. Des territoires sur lesquels des acteurs économiques, culturels et sociaux se retrouvent pour fabriquer un futur désirable, et pas seulement un toujours plus économique.
Richesse et diversité des territoires apprenants
Ainsi, les « territoires apprenants » vont plus loin que le label de l’Unesco décerné aux « villes apprenantes » qui reconnaît toutes les actions éducatives et formatives qui rendent la ville propice aux apprentissages.
Les territoires apprenants engagent une manière coopérative de faire société, et de s’unir aux autres pour être plus résilient. Au-delà de la seule ingénierie territoriale opérée par des fonctionnaires publics, ou des initiatives d’investissement privées pour valoriser des espaces laissés libres (friches industrielles, friches hospitalières, friches militaires), un ensemble presque invisible d’acteurs s’efforce de construire des alternatives. Ils agissent sous la forme de micro-projets, de buts modestes pour faire bouger les choses « à leur échelle ». Ce faisant, ils se lancent dans des apprentissages tous aussi informels que leurs actions. Ils se saisissent du pouvoir des réseaux sociaux pour agir, innover et apprendre ensemble. Ils inventent des formes de dialogues en intelligence collective, en présence dans des lieux de brassages inédits (lab, éco-lieux, espaces hybrides de travail, lieux institutionnels détournés ou accueillant…) ou à distance sur des MOOC connectivistes. En marge des institutions, ils inventent des formes de gouvernance et d’ingénierie communautaire fonctionnant en rhizomes (extension horizontale des idées plutôt qu’imposition hiérarchique). Ils captent les bonnes volontés indépendamment des appartenances institutionnelles. Ils créent des projets et s’allient en ligne. Ils apprennent à mêler le territoire physique et le territoire digital. C’est en cela qu’ils évoquent un monde phygital.
Apprentissages informels, apprentissages sociaux
Ce que je décris ici sous la forme d’apprentissages informels, d’apprentissages sociaux, d’apprentissages communautaires participe de signaux faibles relativement peu relayés et valorisés dans les systèmes traditionnels de formation jusqu’alors, mais qui sont une piste pour dynamiser les territoires. Le potentiel numérique de connexion et de lien à distance débouche sur la possibilité d’apprendre pour le territoire et pas seulement pour soi, de constituer des « communs » de la connaissance qui sont conservés dans les formidables capacités mémoire des ordinateurs et des serveurs. Ces territoires apprenants engagent plus avant la société de l’apprenance : c’est une bonne nouvelle, car apprendre ensemble est essentiel pour renforcer les liens de notre société.
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