Les organismes de formation ont réagi avec célérité, et souvent avec efficacité, aux attentes immédiatement nées de la crise… Ils doivent se préparer, bien au-delà, au nouveau paradigme qui se profile sous nos yeux, et dont la réponse ne saurait se contenter d’une adaptation « techno-pédagogique ».
« L’auto-direction » des apprentissages est loin d’être partagée, chacun n’est pas encore en mesure de se créer son « environnement d’apprentissage personnel » ; la perspective « d’un environnement d’apprentissage collectif » est éloignée plus encore.
En tant que « centres de formation » strictement arcboutés sur l’optimisation et la gestion des masses budgétaires (ce qui suppose d'industrialiser les services à distribuer), les organismes de formation risquent de passer à côté de cette dimension d’engagement individuel et collectif, et de rater la mutation du sens de la pédagogie.
Le soutien "incarné" du groupe (des apprenants) est complètement distendu ; le collectif n’en est plus un ; son essence, qui passe par les corps, les respirations, l’énergie impalpable qui circule, la proxémie, les jeux de regard, les déplacements… Crise et distanciation ont rendu impossibles les vertus du groupe.
Compter sur les émoticônes pour exprimer l’immensité des nuances est un vœu pieu… Distancialiser toute la formation est une rupture paradigmatique qui, de proche en proche, porte atteinte au fondement même de la médiation humaine, en croyant pouvoir limiter l’acte d’apprendre à une interaction cognitive. Question d’éthique : quel sera l’impact de la socialisation actuellement limitée au « en ligne » dans les métiers ou les futures générations ?
La dimension affective sociale est amputée, car il est impossible d’user de nos sens (odorat, toucher, kinésique). Fondée sur des signaux perceptibles à peine, notre intuition finit par nous faire défaut : à distance, un silence porte rarement une présence, mais bien plus d’ennui ou de déconcentration ! Est-il seulement possible d’inventer les moyens de l’émotion à distance, alors que les fenêtres surgissantes, les images animées et autres gadgets électroniques constituent autant de pollutions visuelles et commerciales dénuées de sens et d’intérêt. En donnant le primat au cognitif, on méconnaît le rôle du chemin qui va de la main au cerveau et l’importance de la modélisation de proximité (Cf. les travaux de Richard Sennett). Le tropisme cognitif écrase la dimension de l'apprendre conative et affective. Les corps contenants, leur présence, le moi-peau du psychanalyste Didier Anzieu s’estompent pour devenir de lointains souvenirs, les formats numériques consacrant le surcroît d'adaptation au détriment de la créativité.
En s’adaptant dans l’urgence les organismes de formation ont certes réalisé des prouesses techniques et d’ingénierie. Il faut les saluer et les en remercier. Mais, ils ont réagi dans le même temps en tentant de maintenir le monde dans son état actuel, de s’y adapter « simplement ». Le risque est grand pour les organismes de formation de continuer à se concentrer seulement sur les enjeux technico-pédagogiques. Si ceux de l’après-guerre ont répondu à la reconstruction du pays, s’ils ont favorisé, dans les 70’s, la promotion sociale, puis accompagné la montée d’une société de la connaissance dans les années 2000, les organismes de formation ont aujourd’hui pour mission de participer à la « transition sociétale » en repensant entièrement leur modèle.
L’adaptation technologique est insuffisante, il s’agit d’embrasser les mutations géographiques et les « façons de voir la vie » (86% des cadres traumatisés par le confinement désirent quitter les villes où ils ont été privés de liberté). Les identités individuelles changent, elles ne sont pas réductibles à la progression de carrière ou au plus de richesse matérielle.
La question de la proximité est devenue centrale. Comment les organismes de formation vont repenser leurs liens aux territoires, s’investir dans la vie de la cité, devenir « politiques » au sens et dans la façon dont on apprend et l’on construit ensemble ? Vaste question !
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