Les organismes et centres de formation - vers lesquels convergeaient moyen de financement, flux d’humains et d’idées - ont d’abord été sidérés de ne plus être… au centre ! Mais au contraire poussés à la périphérie d’internet et redevables de ses solutions pour permettre une continuité d’activité… Passer ce cap inconfortable le monde de la formation a dû se réinventer en urgence, en diversifiant ses formats et en accélérant sa numérisation…
Le monde de la formation a fait sien un contexte numérique et inventé de nouveaux formats à distance qui risquent toutefois d’amputer ce qui est au cœur de notre humanité s’ils sont poussés au maximum de son potentiel.
Zoomification, Zoomanitude, Zoombreaking
La « Visio » - un monde dans lequel le prestataire leader Zoom s’est imposé avec force - nous fait osciller entre « zoomification » (symptôme : nos yeux semblent gros et douloureux comme des œufs d’autruche à passer des heures devant les écrans) et « zoomanitude » (essai de maintenir nos relations cordiales et humaines coûte que coûte). La Visio nous oblige à inventer de nouveaux rituels - le « zoombreaking » par exemple - qui nous poussent à « déconnecter » de temps à autre. Elle tend à remplacer les présentiels traditionnels, mais elle nous prive de ces interstices (devant la machine à café) ou hasards qui permettent de créer du neuf et de la complicité. Contraints de suivre des cours en ligne, les apprenants en arrivent à infliger des écrans noirs à leur formateur pour s’échapper de situations pénibles à force de répétition.
L’apprenant sous contrôle de la machine et de son administrateur
À l’heure numérique, profitant de l’aubaine, les gestionnaires de plateformes persévèrent dans leur tropisme de contrôle et d’organisation. Leurs solutions seraient autant de panacées, mais dans ce mouvement l'apprenant reste objet de surveillance des Learning Data Analytics plutôt qu’un sujet d'émancipation : non-auteur de sa formation, il est sommé de suivre des parcours de formation pensés par des experts : bifurcations et spontanéité ne sont pas de mise ; il n’a en rien le droit de piloter, d’animer ou d’exercer un quelconque contrôle sur la plateforme ; il doit acquiescer à ce que l’administrateur considère comme bon pour lui dans l’accès à une ressource, la fermeture ou l’ouverture de tel ou tel espace. Le risque est réel pour les organismes de formation que les individus se détournent d’espaces trop contraignants (à l’instar des étudiants), sauf à être obligés d’en passer par là pour gagner un diplôme ou une habilitation officielle.
Adaptations à la marge
Des adaptations plus simples se sont organisées comme des groupes de codéveloppement à distance, des supervisions ou des apprentissages de collectifs déspatialisés. Les interfaces tentent d’imiter l’organisation d’un groupe en cercle en inventant tout un vocabulaire pour désigner les salles de « sous-groupes » (parfois nommées « chambrettes »), les « post-it électroniques », le vote à distance ou la prise de note sur des documents partagés. Ces formats augmentent la possibilité de traces vidéos, ou de compte rendus écrits, offrant de nouvelles perspectives et à terme de nouveaux usages d’intelligence collective.
Possibilités et limites des mondes simulés
Les « mondes en ligne » et leurs avatars se sont démultipliées, les organisateurs d’événements ayant mobilisé leur potentiel de simulation de regroupements devenus interdits / impossibles. L’organisation de ces mondes simulés reste lourde, mais la logistique matérielle en est réduite. Les sensations et l’immersivité sont perdues ; perte aussi des liens avec le patrimoine architectural, gastronomique et festif d’une ville d’accueil ; bienvenue aux sons et images numérisés ! Un apprentissage de liens sur des réseaux sociaux, une exploration depuis son canapé : les organismes de formation doivent compromettre avec l’intime de chacun, le chat qui passe devant l’écran ou la scène de ménage…
Jusque-là, si chacun était raisonnablement convaincu de l’intérêt des mondes immersif, se réunir pour apprendre ensemble dans un même lieu physique était incommensurablement plus simple, malgré l’imagination de prédicateurs décidés à créer de la proximité via des casques de réalité virtuelle utilisables à domicile par des équipes qui pourraient ainsi se frotter les unes aux autres par avatars interposés, mieux que dans une plate-forme LMS ou un espace en ligne. C’est en test, les coûts sont élevés, et les bonnes pratiques à identifier… Des organismes de formation ouvrent de nouveaux marchés sur ce créneau.
Rien ne vaut de partager un plateau-repas ?
De même les essais de commensalité à distance par envoi de bouquets de fleurs, de plateaux repas, de bouteilles de vins, les tentatives d'instruction déportée à distance où l’on suit les gestes d’un maître par caméra interposée se démultiplient avec de belles surprises.
Tous ces formats pédagogiques s’inventent sous nos yeux comme pour adapter les vieilles formules aux conditions de l’époque. La plupart des formats concentrés sur la technologie, oublient néanmoins l’inventivité sociale de petits groupes en proximité, voire de paires, de binômes, de voisins, de proches avec lesquels on vit et desquels on pourrait aussi apprendre. Beaucoup d’énergie est placée sur le numérique et très peu sur la proximité et les micro-groupes. Dommage pour la variété !
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