Du DIF au CPF, une longue histoire de dupes, dont les principales victimes sont les salariés, les entreprises et le travail ! Une histoire emblématique, aussi, des carences de l’État, quand il se mêle de ce qui ne le regarde pas…
Au début (en 2003) était le DIF : conte de fée (la formation tout au long de la vie via un dispositif équitable et universel de 20 heures de formation par an) consensuel, visant à rompre avec les habitudes d’une formation jusque-là réservée aux plus qualifiés. Attentisme, tergiversations des partenaires sociaux, crise financière de 2008, auront eu sa peau.
En 2013, tentative de réanimation par CPF interposé : système de comptage national d’heures de formation, augmenté (c’est cadeau !) à 24h par an, transférable d’un employeur à l’autre, avec le même mécanisme d’accumulation des heures… C’est Jules Ferry appliqué à la formation : plus on accumule de titres / certifications / années d’études, plus on est compétent, désirable sur le marché du travail et “sécurisé”. Chacun devient au passage acteur de son projet professionnel par le pouvoir qui est lui conféré d’acheter de la formation (en heures puis en € à partir de 2019)…
Mais la formation en entreprise n’est plus cette “école de la deuxième chance” qu’elle a pu être, la société de la connaissance étant passée par là, avec sa dynamique propre, son mouvement permanent, ses flux d’informations, de connaissances et de compétences où baignent individus et entreprises. En marge du diplôme ou de la qualification, la compétence a pris le chemin des écoliers : travailler ou être promu ne suffisent plus, pas plus que d’arborer un niveau d’éducation “prouvé” par un diplôme quand 600 000 jeunes (75% d’une tranche d’âge) quittent annuellement le système éducatif avec un titre ou un diplôme, pour entrer en concurrence frontale avec les travailleurs déjà en poste (souvent moins qualifiés mais bien mieux payés).
Inspiré de notre système de retraite - accumulation de trimestres / années de travail pour augmenter son crédit d’heures ; gestion par la CDC (aussi en charge de la retraite des fonctionnaires) -, le CPF est triplement contre-productif. En effet, il incite à épargner durant des années, à gagner des “miles” de formation avant de, très éventuellement, récupérer sa mise en se formant ; il pousse à attendre une rupture professionnelle (le chômage) pour envisager de se former ; il réduit la formation / professionnalisation à des actions de formation déliées de l’organisation du travail, de ses besoins / demandes / capacités à organiser le CPF (qui hors temps de travail n’a guère de chance de se développer).
Le CPF souffre d’une malformation rédhibitoire :
- Dispositif universel, il devient un immense réceptacle social où se déversent tous les dossiers sociaux en souffrance : les chômeurs et leur formation (disposer d’un crédit de formation n’a guère d’influence sur leurs possibilités de formation), les jeunes sans qualification et les précaires (qui se sont vus octroyer un crédit de 100 heures de formation en 2015, ce qui suffit à démontrer ainsi que ce droit largement est inopérant). Autres publics : les 6 millions de fonctionnaires et assimilés à qui l’on offre le CPF, faute d’avoir su mettre en œuvre le DIF en son temps ; quant aux indépendants, qui cotisent trop faiblement, ils disposeront à leur tour du CPF (mouture 2018).
- Utilisable sans l’employeur (sur proposition du MEDEF…), il éloigne la formation de ce qu’elle devrait être : un co-investissement employeur - employé. La formation n’a pas vocation à pousser l’individu à accumuler des titres et des diplômes dans son coin, mais, au contraire de l’école, à acquérir des compétences utilisables au travail. Sans l’implication de l’employeur, on se limite à des savoirs théoriques plus ou moins utiles, plus ou moins adaptés. On ne s’étonnera pas du franc insuccès de ce dispositif auprès des salariés (1% de réalisation depuis 5 ans).
- Un financement en trompe l’œil : doté d’une cotisation (symbolique) de 0,2% de la masse salariale (pour les seules entreprises de plus de 10 salariés), il produit un petit milliard d’euros pour 20 millions d’actifs (18 millions de salariés du privé, 2 millions de travailleurs indépendants) censés se former régulièrement dans des formations “longues”, au-delà des 20 heures du DIF. Chaque compte est doté de 500 € par an, mais la cotisation pour 20 millions d’actifs ne s’élève en réalité qu’à 50 € par personne. Chaque salarié aura donc le choix : attendre 20 ans pour accumuler 1000 € (à raison de 50 € par an) ou se former une ou deux heures par an tout au long de sa vie active ! De là à penser que le Ministère du travail a créé un droit fictif de 500 € par an / par personne en tablant sur l’échec inévitable du dispositif (moins de 5 % de réalisation) pour lui assurer sa soutenabilité financière, il n’y a qu’un pas (on attend toujours la publication du rapport de l’IGAS/IGS en novembre 2019 pour estimer la soutenabilité financière de la réforme de 2018…).
Vieille de 14 ans, l’histoire du DIF/CPF aura démontré la capacité de l’État à pratiquer la méthode Coué sur fond d’incurie en matière de contrôle et d’encadrement de la formation de nos 30 millions d’actifs. Qu’il abandonne ses velléités de prélever, redistribuer et gérer des droits à la formation dans un monde du travail exigeant, rapide et nécessitant adaptations et formations permanentes, c’est ce qu’on peut lui, et nous, souhaiter de mieux.
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