Depuis presqu’un demi-siècle, l’État se mêle et dicte la formation des travailleurs français, alors que cette responsabilité incombe aux entreprises dans la plupart des pays industrialisés… Le résultat n’est guère brillant dans l’Hexagone !
50 ans, et près de 10 lois et réformes plus tard, notre pays, ex-grande puissance industrielle, figure parmi les plus médiocres élèves de l’OCDE (entre les 20 et 25e place, pour les enfants à l’école comme pour les adultes au travail)…
Aucune réforme / règlementation n’aura donc réussi à relever le niveau éducatif des travailleurs.
Un peu de recul
Dans le sillage de mai 68, les classements, notes, la notion même de mérite disparaissent au profit du collège unique et du bac pour tous (ou presque : 80 % des élèves) ; l’ancienne promotion sociale, devenue formation professionnelle continue, est assimilée à une sorte d’école de la deuxième chance ; les syndicats y sont associés, qui devraient y trouver une nouvelle légitimité sociale… et des financements conséquents. De là notre déclin : effrayés par le monôme estudiantin et les prémisses d’une révolte ouvrière, les politiques partagent symboliquement les tâches entre une Gauche en charge du social et de l’éducatif (et plus largement de ce qui deviendra le “Care”) et une Droite oscillant entre sa vision sociale et son libéralisme, en charge des dossiers principaux (Economie, finance, affaires étrangères). Au passage l’école publique devient le lieu d’expérimentations (inspirées des Deleuze, Derrida et autres Bourdieu…) : “déconstruction” des savoirs, rejet du mérite, collège unique, histoire non chronologique, maths modernes, lecture globale… qui ont pour effet de la décrédibiliser. La formation professionnelle n’est pas en reste : exercice social et impôt aidant, elle invente le paritarisme, elle alimente et finance le dialogue social.
Du coût de la formation…
Les fonds de formation sont mutualisés, la formation a des airs de gratuité, le stagiaire est subordonné à l’employeur (la formation se déroulant quasi exclusivement sur le temps de travail). Bizarrerie que cette mutualisation de la formation dont le coût représente (dans un cas favorable) 3 % de la masse salariale, alors qu’on s’abstient de mutualiser les congés payés qui absorbent 14 % de la masse salariale… Cherchez l’erreur ! Avec son look d’assurance (tout le monde cotise et peu l’utilise), cette mutualisation a constamment alourdi, complexifié et renchéri tous les dispositifs de formation.
Dans notre pays où tout est censé être gratuit (à l’Etat de payer), il est donc convenu que l’éducation des adultes ne devrait rien coûter. Les salariés (qui, disposant des revenus de leur travail, pourraient vouloir évoluer en se formant) ne sont pas censés financer leur propre formation ; nos entreprises, parmi les plus taxées du monde, considèrent que la formation des moins qualifiés ne relève pas de leurs compétences ni obligations. Ne rien coûter, en temps ou en argent, à personne : les grandes entreprises s’en tiennent souvent au 1%, dans les TPME une cotisation formation étique n’interpelle pas plus l’employeur que ses salariés.
Du désir de se former…
Les Pouvoirs Publics ne semblent aucunement inquiets du manque durable (depuis 1971) d'appétence des salariés (et des entreprises) pour la formation. Dans un système qui surprotège et déresponsabilise le salarié (considéré comme un travailleur mineur et sans défense), la formation n’est ni naturelle, ni connue ni même souvent souhaitée (même si elle est régulièrement plébiscitée… en paroles dans les enquêtes !). Chaque réforme (sociale) de la formation part pourtant du principe que le salarié, subissant un lien de subordination, serait incapable d’apprendre et de se former parce qu’empêché (par son employeur, par le manque d’argent, par les usines à gaz qu’on lui a concoctées mais qu’on promet de simplifier à la prochaine réforme).
Des consommateurs de formation immatures…
S’abritant derrière un droit du travail qui fait de la formation un exercice social optionnel, beaucoup de salariés s’abstiennent d’apprendre ou d’en avoir seulement le désir… Se former pour mieux travailler, pour se développer (ou grandir) ? Quelle drôle d’idée. Si en Allemagne, aux USA, en Chine ou en Angleterre les salariés se forment sur leur temps libre et financent une part importante de leurs dépenses formations, il n’en va pas ainsi dans l’Hexagone, quitte à ce que ce refus d’apprendre pour s’adapter débouche sur la dangereuse immobilité d’une qualification acquise il y a des dizaines d’années, et devenue hors d’usage pour l’entreprise.
Semer pour récolter…
Si notre formation professionnelle continue a connu bien peu de moments de grâce depuis 1971 (on mentionnera la courte parenthèse post-réforme de 2004), c’est parce que nous conjuguons l’avoir (consommation, pouvoir d’achat ou “grain à moudre”) plutôt que le savoir (changer, apprendre, innover). Depuis ces temps anciens du XXe siècle, l’Etat, les partenaires sociaux et les salariés ont réussi ce tour de force d’avoir co-produit une illusion de formation, un système à la fois inadapté et inconséquent face à un monde du travail exigeant, entreprenant, digitalisé, incertain et ultra-réactif.
À suivre : le naufrage du CPF
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