Le champ de l’innovation en pédagogie est immense, où se rencontrent deux acteurs clés : le pédagogue (concepteur, formateur…) et celui qui crée des outils numériques destinés à la formation… Pour Jean-Michel Pauline (Directeur général, Babylon.fr), la pertinence de l’innovation en formation dépend de leur bonne compréhension mutuelle… Lettre ouverte…
Cher innovateur,
Quand j’ai débuté dans le métier de la formation, je disposais d’un paper board, d’un jeu de feutres et d’un rétro projecteur (le Moyen Âge…). Puis sont venus le vidéo projecteur, les boîtiers de vote, l’Internet, les LMS, smartphones, réseaux sociaux, l’e-learning, le blended–learning, MOOCs et SPOCs… Pas un salon de la formation sans présentation de nouveaux outils et concepts, accompagnés de leurs éléments de langage. Or, mon métier, c’est la pédagogie ! T’arrive-t-il de te demander, cher innovateur, si telle nouveauté que tu inventes pourra m’aider au quotidien ? Je vais illustrer mon point de vue par trois exemples.
La dalle numérique interactive
Totale séduction ! Notamment, pour son interactivité… Mais au fait, cette interactivité : pour quoi faire, et quelle valeur la dalle ajoute-t-elle à ce qui existait ?
Le formateur en salle interagit en permanence avec le groupe parce qu’il est “dans le groupe”, les interactions passant largement dans les regards entre l’animateur et les participants. Un vidéo-projecteur ou une dalle numérique (mais connectée à l’ordinateur) télécommandés, voilà qui permet déjà de projeter des images sans perte d’interaction physique avec le groupe. Quid alors de la dalle interactive ? Observons un plateau de télévision qui en est équipé : le journaliste passe son temps à chercher / cliquer sur la bonne vignette, à l’agrandir pour enfin la remplacer par la suivante… Fastidieuse manipulation, dos tourné à la caméra (et aux téléspectateurs). La transposition est aisée dans une salle de formation : on comprend que le formateur préfère conserver la solution initiale (ordinateur comme prompteur, télécommande, dalle numérique) qui lui permet de rester dans son interaction avec le groupe et de ne pas être cannibalisé par son interaction avec la dalle !
Mais…
On ne pourra nier l’intérêt de cette même dalle interactive dans la résolution en plénière de travaux effectués en ateliers, notamment pour les sauvegarder au fur et à mesure, revenir sur une solution déjà enregistrée, collaborer sur un même tableau / schéma, une étude de cas, etc.
Les applications sur smartphone ou sur tablette utilisées en salle
Je me souviens de cette découverte, lors d’un salon professionnel, dans le cadre d’une table ronde : ce type d’application permettait d’interroger les participants. Même mésaventure qu’au célèbre animateur de télévision spécialisé dans les innovations : les questions peinaient à s’afficher correctement ! Plus sérieusement : quel apport de ces applications en matière de pédagogie et de relation avec le groupe ? quel intérêt de pianoter sa question et de la voir s'afficher à l'écran (éventuellement truffée d’approximations grammaticales et orthographiques) plutôt que de la poser oralement ?
Mais…
Cette innovation permettra à l’apprenant de répondre, par exemple, à un sondage plutôt qu’à une question posée à la cantonade avec le risque d’auto-censure ou d’une réponse tardive inspirée par les réponses des autres participants. L'innovation est considérable par rapport aux boîtiers de vote, onéreux, encombrants, fragiles : on peut maintenant répondre à des quiz en ligne via son smartphone ou sa tablette, le formateur sait si tout le monde a répondu, il peut diffuser les statistiques de réussite, mettre des groupes au défi, sans investissement matériel supplémentaire.
Le Social Learning
Une innovation plus conceptuelle que technique, que ce Social Learning censé favoriser la création des communautés d'apprenants. Question : quel intérêt pour un apprenant de recevoir 10 notifications l’informant que tel ou telle se sont connectés à une leçon ? Quel coût pour lui en terme de chute de l’attention ? Par ailleurs, l’apprenant qui pose une question via le tchat risque fort d’être inondé de réactions à l’emporte-pièce, à l’instar de ce qui pullule sur les réseaux sociaux… Questions posées toujours plus rageusement, pire encore : réponses ressemblant plus à des fake news qu’à un vrai échange sur le fond ou la forme du sujet abordé. On ne peut décidément dans ce cas se passer de l’asynchrone et d’une publication sous contrôle d’une modération.
Mais…
Un réseau social de formation pourra trouver son utilité dans un groupe d’apprenants bien identifiés, appartenant à la même organisation homogène ou bien motivés par un même sujet de formation, à travers le lancement de challenges, la collaboration entre des personnes géographiquement dispersées, la résolution de problème en sous-groupes… Ces possibilités sont celles qu’on rencontre par exemple dans le format MOOC.
Cher innovateur, mon ami,
J’admets être une vieille barbe du siècle dernier ! Mais ne t’y trompe pas : tes créations destinées à la formation m’intéressent a priori, car elles sont susceptibles d’améliorer ma pratique pédagogique et de s’insérer dans les évolutions que j’y apporte de mon côté.
Aussi, il faut qu’à ton tour, tu t’interroges : en quoi l’idée du siècle qui vient de te passer par la tête pourra être utile au pédagogue ? En quoi la pratique quotidienne de celui-ci pourra en tirer profit ?
L'innovation est bien un miroir à deux faces ! Nous aurons sans doute d’autres occasions d’en reparler, dans les bouleversements en cours, qui vont voir les solutions purement digitales monter en puissance en prétendant être la panacée.
À très bientôt !
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