L’engagement apprenant, comme Graal de la formation : c’est à lui qu’il appartiendrait de garantir le plein succès et la franche généralisation du digital learning, c’est-à-dire largement de l’auto-formation, et des bénéfices qu’en attendent les entreprises…
Pourquoi on n’a jamais autant parler d’engagement apprenant…
Avant la formation était rare (donc chère, donc attirante). Aujourd’hui elle est abondante, c’est la part d’attention des apprenants qui s’est raréfiée : les Directions Formation, les fournisseurs la disputent aux multiples sollicitations du Web (on entend même dire qu’on n’a désormais guère plus d’attention qu’un poisson rouge ; on n’est pas obligé de le croire).
Avant, la formation se présentait comme un événement (le cours en salle) ; le stagiaire (son nom d’avant) devait en passer par un processus structurant / encadrant (inscription, déplacement, prise en charge par l’animateur, etc.). Aujourd’hui, le développement de l’auto-formation (qui reste le sens général des dispositifs e-learning) requiert un effort nettement plus important de l’apprenant.
Autre facteur de buzz : La transformation digitale des organisations, qui touche à présent tous les collaborateurs de l’entreprise, implique qu’ils mettent continûment à jour des compétences sans cesse menacées d’obsolescence… Solution (il n’y en pas d’autres) : de nouveau l’utilisation massive des dispositifs d’auto-formation plus ou moins accompagnée (en pratique, plutôt moins que plus).
Or, la plupart des Directions Formation font un triste constat, répété année après année malgré tous les trésors d’inventivité qu’elles déploient pour y échapper : les statistiques d’utilisation issues du portail de formation / plateforme LMS restent bien décevantes. Comment donc engager les apprenants (au fond : les pousser à consommer ce qu’on leur sert sur le portail ou sur l’écran de leur smartphone) ? Inventivité aussi du côté des fournisseurs, voire développement de nouveaux segments de marché : Learning Engagement Platforms, micro learning, vidéo learning, gamification, etc.
Pourquoi un adulte s’engage dans sa formation
La formation n’a pas attendu le digital pour se poser la question de l’engagement. On sait par exemple qu’un adulte acceptera de se former s’il est consulté (sur le programme, les objectifs, la durée, le rythme, les efforts qu’on lui demande, etc.), mieux encore : s’il en est le co-décideur. Sa formation devra s’ancrer sur son expérience d’adulte (professionnelle, sociale, etc.) et servir des buts qui ont de la valeur pour l’apprenant (tout effort mérite salaire).
L’engagement dépend donc du sens que le collaborateur pourra trouver à sa formation : sens qui peut être de court terme (par exemple aisance opérationnelle) ou sens de moyen terme (évolution professionnelle, mobilité). Ces deux temporalités doivent être mobilisés de concert ; elles ne sont pas séparées, court et moyen terme s’imbriquent.
Cet adulte co-stratège, avec une mémoire, des projets que la formation doit plus ou moins explicitement servir, se double aujourd’hui d’un utilisateur parfois frénétique du Web et du smartphone (plus généralement des écrans) et de leur cortège d’usages, notamment les usages sociaux, tous ces outils servant finalement peu ou prou à échanger / mettre en relation.
L’approche holistique de l’apprenant : un mirage ?
Auto-formation demandée à l’apprenant, ce qui suppose qu’il apprenne à apprendre (comme si le fait même de vivre ne contenait en permanence sa dose d’apprentissage), auto-formation devant tenir compte des motivations de l’adulte à se former, des nouveaux usages du digital, et pourquoi pas des styles d’apprentissage ? Cette vision globalisante, c’est celle que vise l’approche holistique de l’apprenant dont la description se veut tellement complète et détaillée qu’elle embarque automatiquement une solution de formation adaptée.
Cette vision est aujourd’hui largement impraticable. Elle se heurte en effet à l’impossibilité de mettre l’humain en boîte, de décrire l’apprenant dans toutes ses dimensions qui peuvent influer sur le contenu et le design de la formation. Demeure toujours une part d’incertitude, importante, qui exige de la formation qu’elle prenne sa part de risque (ne pouvoir contenter tout le monde, comme dans la fable). Si encore un adulte était “stable” (dans ses motivations, ses pratiques, compétences, etc.), la formation finirait bien par le cerner. Mais on voit l’ambiguïté : la formation vise justement à “dynamiser” cet adulte, à l’adapter en continu au changement perpétuel : à peine s’est-il formé qu’il doit de nouveau se former, de sorte que cette approche holistique pourrait se révéler un mirage, à moins de considérer que l’adulte se réduit au halo des données numériques qu’il produit en permanence, et dans l’attente (pas forcément souhaitable) que l’Intelligence Artificielle y mette ordre…
Michel Diaz
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