Les promesses du e-learning pour l’Afrique, ses chiffres, les obstacles à dépasser, un vaste écosystème en pleine évolution… Le salon eLearning Africa en est le plus fidèle reflet… Passage en revue avec Rebecca Stromeyer, sa fondatrice et directrice.
Quels sont les défis de l'apprentissage numérique en Afrique ?
Rebecca Stromeyer : L’Afrique s'est incontestablement emparée du numérique et dispose d'un immense potentiel pour se servir de la technologie comme vecteur d'une éducation de haut niveau mise à la disposition de tous. Toutefois, certains sujets majeurs appellent encore une réponse politique afin d’assurer le succès de la mise en place de cette technologie et de faire en sorte que tous aient accès à une éducation de qualité, qui soit à la fois équitable et inclusive.
Après avoir organisé 14 éditions d’eLearning Africa à travers l'Afrique, je considère qu'il existe trois défis majeurs à relever. D’abord celui de la connectivité : les infrastructures doivent être améliorées et la connexion haut débit rendue plus abordable, en particulier dans les régions reculées, qui sont celles où vivent la majorité des Africains. Ensuite, les contenus : les pays africains doivent créer leurs propres contenus pédagogiques en fonction du contexte et des besoins de ce continent. Ils doivent également être en mesure de le diffuser dans les langues locales afin d’atteindre toutes les populations. L'Afrique ne devrait pas avoir à importer des contenus pédagogiques sans lien avec la vie et les besoins locaux. Enfin, l'apprentissage numérique ne doit pas seulement proposer de bonnes formations, il doit également favoriser le développement des compétences requises sur le marché du travail, de sorte que les jeunes diplômés puissent trouver un emploi dans le secteur du numérique.
Quels chiffres peut-on retenir ?
Rebecca Stromeyer : L’Afrique constitue actuellement le marché de l'apprentissage numérique qui connaît la croissance la plus rapide au monde. Il a plus que doublé entre 2011 et 2017 et sa croissance pour 2018 est estimée à 806 millions de dollars. C'est la raison pour laquelle elle offre d'infinies possibilités d'utilisation des TIC en terme d’optimisation de l'apprentissage et de l'acquisition des compétences, ainsi qu’en terme d’amélioration de l'enseignement en général. Les deux technologies ayant affiché une croissance constante et qui constituent le cœur du marché de l'apprentissage numérique en Afrique sont l'apprentissage mobile et les systèmes de gestion de l'apprentissage. Mais on observe également une hausse de l’utilisation d'autres méthodes telles que l’apprentissage fondé sur le jeu et l’apprentissage fondé sur la simulation. Ce sont elles qui donneront son visage au marché de demain tout en favorisant une approche de la formation davantage centrée sur les compétences.
Le marché africain de l'apprentissage numérique est loin d’être un tout homogène…
Rebecca Stromeyer : Comme sur tous les continents, le niveau d’évolution et de maturité de l'apprentissage numérique varie grandement selon le pays. Sa mise en place présente de grands avantages dans les pays où les gouvernements se sont fortement investis dans la transformation numérique. Cependant, on constate dans le même temps que la plupart des gouvernements africains sont engagés dans une démarche de dynamisation de l'économie du numérique en vue d'accéder aux marchés mondiaux. Le lancement de l'Accord de libre-échange continental africain (AfCFTA), qui sera évoqué cette année à la Table ronde ministérielle, favorisera ce processus. J'aimerais aussi préciser qu'outre les différences entre les pays africains, il continue d’exister un fossé énorme entre les zones rurales et urbaines. Ce problème requiert une attention toute particulière de la part des gouvernements.
Quel rôle joue eLearning Africa ?
Rebecca Stromeyer : eLearning Africa fournit aux acteurs de l'éducation et de la formation un lieu pour se rencontrer, réseauter et nouer des partenariats. L'un des grands attraits de cet évènement réside dans ce qu’il réunit des professionnels de tous les domaines : la petite enfance, l'école élémentaire et secondaire, l'enseignement supérieur, la formation sur le lieu du travail, la formation permanente, etc. Par ailleurs, tous les secteurs sont visés : l’école, l’université, l'industrie, l'administration mais aussi la finance, la santé et l'agriculture. Le partage des connaissances est un processus extrêmement enrichissant et la participation des ministres de l'éducation et des TIC ainsi que des décideurs politiques de toute l'Afrique, contribuera à renforcer l’impact de la mise en place de l'apprentissage numérique à travers le continent. Nous comptabilisons plus d’un millier de délégués par an en moyenne. Un solide réseau du savoir s’est créé qui regroupe des spécialistes et un plus large publique des quatre coins du continent.
Quels sont les axes du programme de la conférence ?
Rebecca Stromeyer : Le programme de cette conférence annuelle reflète chaque fois les nouvelles recherches, découvertes et meilleures pratiques en cours ainsi que les dernières avancées dans un domaine. Nous examinons également les tendances et les besoins de l'Afrique tout en abordant les difficultés et les enjeux locaux. Le programme de cette année est consacré notamment aux enseignants, aux compétences numériques et à la formation des enseignants. On estime que ces aspects comptent parmi les plus déterminants en vue d’une mise en place réussie de l'apprentissage numérique. Un autre pan de la conférence sera dédié à l'agriculture. La technologie peut jouer un rôle positif sur l’acquisition des savoirs et des compétences dans ce secteur pivot de l'économie africaine. Un accent supplémentaire sera également mis sur la jeunesse et le développement des compétences en lien avec l'employabilité et l'entreprenariat.
Comment percevez-vous l'implication des acteurs européens de l’apprentissage numérique ?
Rebecca Stromeyer : La mise en relation des parties prenantes de l’apprentissage numérique européens (et du monde entier) avec leurs homologues africains a donné le jour à de nombreuses collaborations multipartites entre le secteur public et privé qui ont permis de promouvoir des solutions d'apprentissage numériques à travers l'Afrique.
Propos recueillis par Michel Diaz
|