Est-ce que la nécessité de produire toujours plus rapidement les contenus e-learning est compatible avec l’impératif de qualité pédagogique ?

Julien Georget : La réduction des temps et des coûts de formation portée par l’usage du digital est aujourd’hui relativement bien acceptée par la communauté des acteurs de la formation. Si le digital learning répond à ces deux attentes du business, son développement ne doit toutefois pas se faire au détriment de la qualité pédagogique.

Olivier Barras : La promesse d’efficacité des dispositifs digitaux semble parfois en retrait de l’objectif d’optimisation des coûts et des temps de déploiement, un constat qu’on peut expliquer par une confusion entre la demande de formation, formulée par le commanditaire d’une part et le besoin réel de formation d’autre part, qui correspond à des enjeux stratégiques et opérationnels. C’est un postulat avec lequel l’ingénieur pédagogique doit compter en début de projet, en aidant le commanditaire à cerner les objectifs à atteindre à l’issue de la formation. Le choix d’un outil digital vient après cette phase d’analyse et de conseil, pour éviter que le dispositif soit “techno centric”, qu’il oublie les contraintes et l’expérience de l’utilisateur final ou tout simplement les objectifs de la formation.

Comment prenez-vous en compte cet appétit des apprenants pour les usages du Web ?

Julien Georget : L’irruption du digital a en effet entraîné de nouveaux usages et, au-delà, de profonds changements sociétaux dans notre quotidien comme dans nos pratiques professionnelles, marketing ou formation en particulier. Les apprenants sont avides d’une liberté dont les mots clés sont mobilité, flexibilité, transversalité (des échanges). Cette demande de liberté doit être prise en compte par les ingénieurs pédagogiques s’ils veulent mettre en œuvre des dispositifs de formation qui suscitent l’adhésion. D’une façon générale, le digital doit aider l’apprenant à voir la formation comme une opportunité plutôt que comme une contrainte.

Olivier Barras : Pour réussir la transposition du digital en formation, il faut nous concentrer non pas sur l’outil mais sur son appropriation concrète révélée par ses usages. Nous avons là un devoir d’observation et de réutilisation opportuniste, mais réfléchie, des outils digitaux. Nous avons pour mission d’identifier les axes de motivation, intrinsèques et extrinsèques, et les pratiques des apprenants, puis d’utiliser ces observations pour maintenir un juste équilibre entre une conception anthropocentrée et une conception technocentrée. La variété des profils apprenants entraîne celle des usages et des pratiques. Nous prenons systématiquement le temps d’échange nécessaire avec le commanditaire pour les caractériser, de façon à construire un dispositif cohérent et adapté. 

Julien Georget : J’ajouterai qu’il n’y a pas, fondamentalement, de bons outils, ou plus exactement qu’un outil est bon s’il est concrètement utilisable par les apprenants et s’il répond à un réel besoin.

Quelle place faites-vous à l’évaluation dans votre ingénierie pédagogique ?

Olivier Barras : L’évaluation est une activité bien ancrée, et de longue date, dans l’ingénierie pédagogique. L’apprenant s’approprie ses nouvelles connaissances largement en les exploitant dans l’exercice de son métier. Le processus clé de l’évaluation est outillé par le  digital ; la variété des outils disponibles, synchrones ou asynchrones, facilite l’intégration des phases d’acquisition de connaissances et d’évaluation dans un même dispositif.

Julien Georget : Une finalité de ce dispositif, c’est de mesurer, par des actions échelonnées, l’écart de connaissances avant et après l’acte de formation, et la transposition des compétences acquises dans la pratique professionnelle, à travers des indicateurs attendus par les services RH et métier. De simples quiz de connaissances ne sauraient donc suffire ! 

Olivier Barras : Bien sûr, et l’efficacité de ce dispositif est conditionnée par l’implication du middle management dans cette mesure des écarts et également dans la promotion de formation. Un rôle de Callimedia, c’est d’accompagner les services formation et le middle management dans l’élaboration des outils de suivi et des indicateurs, et de réaliser éventuellement les supports de promotion.

L’ingénierie pédagogique est-elle menacée par la montée en puissance des algorithmes et leur promesse d’automatisation des solutions de formation ?

Olivier Barras : L’individualisation des parcours de formation constitue une formidable opportunité pour les ingénieurs pédagogiques. Cette individualisation ne peut être seulement du ressort du digital learning, alors qu’on a souvent reproché à celui-ci un défaut de personnalisation et une certaine rigidité !

Julien Georget : Notre métier va évoluer, à l’instar, en particulier, de celui du marketer touché par la généralisation du “marketing automation”. Les tâches plus en amont, typologie des publics et conception des scénarios pédagogiques, seront d’autant plus critiques. Par ailleurs la conception des parcours “adaptive learning” requiert une banque de ressources plus importante et plus variée que celles dont disposent les entreprises, sinon la scénarisation individualisée risque d’être un vœu pieux.

Olivier Barras : En somme, nous continuerons de travailler avec et pour l’humain !