Un très beau projet, utile, généreux, mobilisant la puissance de l'approche MOOC, par Rémi Bachelet et son équipe de l'École Centrale Lille, auteur collectif d'un MOOC sur la gestion de projet qui a fait beaucoup parler de lui, et qui vise aujourd'hui le service des réfugiés. Cinq recommandations qui inspireront, dans un registre différent, la pratique des MOOC dans les entreprises, et leur donneront peut-être envie d'ouvrir leurs offres de formation pertinentes aux publics qui en ont cruellement besoin.
Rigueur intellectuelle de votre approche dans ce nouveau projet, c'est ce qui frappe de prime abord…
Rémi Bachelet : Notre Étude de faisabilité et opportunité d’un mooc-GdP (NDLR : GdP = gestion de projet) pour les réfugiés fait le point sur les situations réelles de formations offertes aux réfugiés. L’actualité mondiale éveille l’Europe à la réalité de leur vie en camps. Avec une moyenne de 17 années sans solution dans d’immenses camps, ce temps donne sa pertinence à la question. Avec le constat de la multiplicité des situations de vie, la masse d’informations, de propositions éducatives dans et hors camps, la recherche de terrains d’enquête, la rencontre d'acteurs de terrain a permis de tirer certaines recommandations.
Votre première recommandation : « s’appuyer sur des technologies et programmes existants / en développement »…
Rémi Bachelet : ...et travailler avec les organismes qui les proposent pour bénéficier de leur expérience logistique, outils et méthodologie. Un écueil serait de développer un MOOC GdP pour les réfugiés de façon autarcique car plusieurs organismes développent des projets pédagogiques à leur destination. Il existe de nombreuses initiatives concernant la formation pour réfugiés adultes, dans les domaines professionnalisants ou non. En marge des programmes traditionnels (présentiel en camps ou en universités locales), se développent des formations sur plateformes de diffusion avec des contenus éducatifs. Leur souplesse est un avantage dans les camps où les ressources sont limitées. Elles peuvent prendre la forme de formations à distance ou hybrides. La formation est une priorité pour l’UNHCR, mais les initiatives sont probablement encore réservées à un petit nombre. Il faut encourager l’autosuffisance et cela passe par la formation des réfugiés (rapport 2013). Ces compétences ont une visée immédiate dans les camps mais s’inscrivent aussi dans une perspective de retour au pays (ex: camp de Kakuma, Kenya ). Le HCR supporte donc de nombreuses actions d’enseignement.
Deuxième recommandation : « Utiliser des outils adaptés »…
Rémi Bachelet : L’étude montre ej effet qu’il faut des outils adaptés à la mobilité et permettant l'accès internet à la majorité. Deux outils ‘hardware’ - IDEAS Box de Bibliothèque Sans Frontières (BSF) et the MOOC Box de la société Technidev - sont développés et devraient simplifier l’autoformation et la formation hybride au sein des camps. Il faut aussi s’appuyer sur des technologies d’appropriation aisée (téléphones portables). Les réseaux sociaux sont une bonne façon d’échanger et proposent des ressources sans frais de connexion.
Votre troisième recommandation porte sur l'enjeu d'adaptation des contenus et des formats ?
Rémi Bachelet : En Afghanistan Alexandra Fiorantini, anthropologue, a coordonné la mise en place d’une formation gratuite en gestion de projet dans divers camps de réfugiés (cohabitation d’au moins 2 générations). Cette formation a été pertinente pour bien évaluer les besoins ; ceci est d’autant plus justifié si l’on considère que les réfugiés peuvent être aussi acteurs de projets pour améliorer la qualité de vie dans les camps. Un projet MOOC GdP pour réfugiés est donc pertinent. Il faut certes trouver des moyens techniques pour implémenter la formation, mais le point-clé de réussite est l’adaptation des contenus aux besoins des populations, à leur langue, niveau scolaire et cultures-coutumes locales. L’adaptation est considérée comme cruciale par les partenaires et contacts. Par exemple, dans le cadre d’une formation au Badakshan (Nord de l'Afghanistan), il a fallu veiller à toujours inclure le chef de village et le chef religieux aux projets. Concernant les formats de formation il ressort de l’étude que les focus groups ont toujours très bien fonctionné. La situation de réfugié peut amener une certaine fragilité en contexte d’apprentissage (fatigue, difficulté de concentration) ou freins liés à des questions de statuts juridiques non réglées, de pression familiale.
La quatrième recommandation de l'étude traite de l'encadrement des groupes d’apprenants…
Rémi Bachelet : Nous avons plus spécifiquement travaillé sur le terrain en Algérie et à Kouankan en Guinée. Dans ces cas, la création de groupes d’apprenants semble indispensable pour répondre à leurs propres interrogations et maintenir une dynamique. Il convient d’assister les groupes d’apprenants avec un interlocuteur en interface avec le Mooc-GdP. On peut s’inspirer des “Partenariats d’établissement” en place dans le MOOC GdP.
En conclusion…
Rémi Bachelet : Nous avons établi de nombreux contacts et échanges réels avec des organisations, ce qui nous permet de proposer ces recommandations pour la mise en place d’un MOOC GdP pour les réfugiés. Cette population est composée d’un public souvent jeune et plein de ressources, semblable à celui qui traditionnellement s’inscrit pour suivre les MOOCs.
Propos recueillis par Michel Diaz
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