Rencontre avec Jacques Rodet, l'un des meilleurs spécialistes français de l'ingénierie tutorale, à l'occasion de la sortie de son ouvrage "L'ingénierie tutorale. Définir, concevoir, diffuser et évaluer les services d'accompagnement des apprenants d'un digital learning". Retour sur les enjeux et les perspectives.
L'ingénierie tutorale : qu’est-ce que c’est ?
Jacques Rodet : L’ingénierie tutorale rassemble les actions qui permettent de dimensionner les services d’accompagnement des apprenants à distance. Elle consiste à produire plusieurs livrables qui sont le résultat de différentes actions. Dans un premier temps, il est nécessaire d’inventorier les besoins de soutien des apprenants, puis de les prioriser en fonction des contraintes contextuelles, d’identifier les interventions tutorales correspondantes à mettre en place et de les relier à différents profils de tuteurs.
L’ensemble permet de produire le livrable "Système tutoral" qui traduit la stratégie d’accompagnement. Lorsque le scénario pédagogique détaillé est stabilisé, les interventions tutorales y sont insérées. Elles font l’objet d’une description détaillée (outil, modalité, conseils de réalisation…) et sont quantifiées.
Le livrable "Scénario tutoral" est complété par la rédaction d’une charte tutorale qui contractualise la relation entre les apprenants et les tuteurs.
Le livrable "Plan de diffusion" consiste à préparer les futurs tuteurs à leurs interventions, à initier la mutualisation de leurs pratiques au sein de communauté, à mettre au point les outils de suivi et de reporting du tutorat effectué et, ce qui n’est pas le moins important, à définir le modèle économique du dispositif tutoral.
Le dernier livrable consiste en un audit de la performance tutorale s’attachant, dans une démarche qualité, à identifier les améliorations à apporter au dispositif tutoral à partir d’enquêtes réalisées auprès des apprenants et des autres acteurs du digital learning concerné.
Quelles différences entre tutorat, mentoring et coaching, et le rôle spécifique du manager dans ce type de dispositif ?
Jacques Rodet : Le mentoring s’intéresse à l’individu dans toutes ses dimensions et possède donc une dimension heuristique qui permet à l’individu de devenir, de s’accoucher de lui-même. Le domaine du coaching est celui de l’amélioration des gestes professionnels. Il est le plus fréquemment personnalisé bien que le team-building puisse également être une de ses manifestations. Le tutorat a pour cadre un dispositif formel de formation. Son objectif est de faciliter l’atteinte des objectifs de la formation par les apprenants. Il peut être, en fonction de la stratégie tutorale retenue, de groupe, individualisé ou personnalisé. Il fait alors appel à des compétences relevant de la dynamique de groupe, d’adaptation aux différents publics et aux caractéristiques personnelles des apprenants.
En entreprise les managers de proximité sont des relais importants pour la réussite de la formation. Il est alors naturel de leur confier certaines interventions tutorales. Cela nécessite souvent de les sensibiliser et de les aider à changer de posture, de supérieur à personne-ressource aidant à atteindre les objectifs d’apprentissage.
Quels sont métiers du tutorat et leur niveau de reconnaissance dans les entreprises ?
Jacques Rodet : Le tutorat implique l’évolution des métiers de concepteur et de formateur pour qui il constitue des fonctions secondes. D’autres catégories de personnel peuvent également devenir tuteurs. Généralement, les entreprises prennent conscience de l’importance du tutorat lorsque les taux de complétion de leur digital learning sont faibles. En effet, le tutorat est souvent pressenti comme une charge financière inutile et en contradiction avec la volonté d’autonomisation des apprenants. Pourtant, il ne suffit pas de déclarer un individu autonome pour qu’il le soit. De plus, les abandons qui peuvent dépasser les 90%, comme dans les MOOC, ont eux-aussi un coût. Le tutorat, parce qu’il permet aux apprenants de persévérer et de réussir leur formation devient un élément d’amélioration du ROI de la formation.
Quelles sont les perspectives ouvertes par les technologies digitales ?
Jacques Rodet : Les technologies digitales multiplient les occasions de communication et de médiation entre les tuteurs et les apprenants. Elles facilitent la circulation des signes de présence qui sont essentiels aux apprenants à distance pour ne pas se sentir isolés. Elles autorisent l’accompagnement des apprenants en situation de travail, à temps choisi. Leurs caractéristiques tant synchrone qu’asynchrone, écrite, orale, audio-visuelle, ou en réalité simulée multiplient les possibilités d’un accompagnement personnalisé "juste à temps et juste ce qu’il faut".
Livre : L'ingénierie tutorale. Définir, concevoir, diffuser et évaluer les services d'accompagnement des apprenants d'un digital learning
Propos recueillis par Michel Diaz
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